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Les colchiques fleurissent dans les prés. Et voilà qu’en
cette fin de l’été, il me prend la fantaisie de descendre
dans les Alpes pour faire le plein de cols au-delà de « 2000
». Or, comme les matinées sont déjà très fraîches en haute
montagne, je n’hésite pas à choisir les Alpes du Sud comme
destination, en l’occurrence le Parc Régional du Queyras.
Pourquoi ce coin perdu aux confins de la France ?
Elémentaire, mon cher …!
N’est-ce pas là, dans le mythique col de l’Izoard (2360m),
que les forçats de la route ont écrit les plus belles pages
du Tour de France ! Antoine Blondin, le célèbre chroniqueur
du Tour de France, a immortalisé ce coin perdu des Alpes
grâce à sa verve épistolaire. Pour illustrer un tant soit
peu ce prince de l’équivoque et du calembour, je ne citerai
qu’un extrait de son ouvrage « Ironie du Sport ».
L'Izoard, back side
Brunissard, La Chalp et Arvieux
Voici ce que lui avait inspiré
la « Casse Déserte » dans les années cinquante.
« A un moment, on nous apprit que Robinson avait pris de
l’avance ! Ce n’est pas le premier Anglais à penser que son
avenir est sur le haut et Roule Britannia…L’ennuyeux, là,
c’est qu’il n’était pas seul, parce qu’un Robinson sur une «
casse déserte », je ne sais si vous voyez d’ici fumer les
capuchons de stylos. En fait, ce sont les capots des
radiateurs, qui bouillonnaient, de vrais petits geysers
giclant vers un ciel peuplé du cri des motards fous, du
gémissement des coursiers, du craquement des châssis, car la
vérité est qu’on montait, pneu à pneu, mais fermement. Et
puis, au débouché d’un bois, la maquerelle, la vache, ce fut
la « casse déserte », fumier ! … »
Mais, il n’y a pas que l’Izoard dans le coin. Un seul col,
aussi prestigieux fût-il, ne peut être à l’origine d’un
séjour d’une semaine dans un petit village de montagne.
D’autres adjuvants sont indispensables. A vrai dire, les
circuits décrits dans les guides « TOPO - Cyclo muletier
» du Club des Cent Cols avaient piqué ma curiosité.
En élisant résidence à Château-Ville-Vieille (1380m), j’y ai
trouvé largement mon compte quoique, par le passé, je me
fusse régulièrement frotté aux cols queyrassins ainsi qu’à
ceux du Gapençais et du Briançonnais.
En combinant route, chemin muletier et sentier, le
randonneur est à même de se forger, au bout d’une semaine,
une impression du Queyras qui tiendra la route.
Pour ma part, trois ascensions (parmi une foultitude) se
démarquent des autres par « un je ne sais quoi » que je vous
laisse le soin d’aller découvrir vous-même.
St Véran et les environs
La première est la longue, la très longue montée vers la
frontière italienne au col Agnel (2744m) via une digression
muletière au Col Vieux (2806m). De Château-Ville-Vieille au
sommet, la dénivellation moyenne est de 6.5% pendant 21 km.
De plus, il existe une boucle pastorale alternative à la
voie directe qui aboutit à St Véran, un village fleuri de
caractère. Les cadrans solaires et les maisons à greniers –
auvents en bois de la commune la plus haute d’Europe font la
fierté des Queyrassiens. Toutefois, pour peu qu'on se donne
la peine de s’attarder dans les hameaux, il n’y en a pas un
seul qui soit en manque de cachet ! A vos bons cœurs,
messieurs dames les tamponné(e)s !
Col Agnel : versant français
Le versant italien du col Agnel fait figure
d’épouvantail avec ses dix derniers kilomètres pentus à
+/- 10% de moyenne. Vaut le détour.
Col Agnel et le Val Varaita
La seconde ascension est un chemin muletier caillouteux
(+/- 9 km) qui, s’écartant d’Arvieux (1545m) – route de
l’Izoard – serpente sous les mélèzes qui s’éclipsent peu
à peu pour faire place à un monde minéral jusqu’au col
de Furfande (2500m). Les derniers kilomètres sont pentus
à souhait. Au sommet du col, la découverte du Mont Blanc
qui se cache derrière la brèche du col de l’Izoard, à
l’horizon, est une récompense royale. Quant au refuge de
Furfande, il sert de repère pour la descente dans les
gorges du Guil.
En trois, le col de Fromage (2301m) est un monument
incontournable pour le vététiste. Le col, bien aéré, se
trouve au carrefour d’un nœud de sentiers de grande
randonnée. Fait rare, il est accessible par les quatre
points cardinaux. La montagne qui se dévoile, tant au
levant qu’au couchant, est magnifique. Dernier point non
négligeable : le balisage est parfait.
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Le
Sommet Bucher (2250m) et sa table d’orientation, les
trente lacets du mur des Escoyères (1532m), le chemin de
la chapelle de N.D du Clausis (2390m), l’ascension des
chalets de Clapeyto (2221m) et Haut-Risoul (1850m) entre
autres sont autant d’escalades qui font du Queyras une
montagne à la hauteur des exigences du cyclo-randonneur.
Malgré le climat d’un air à transparence de cristal, les
cols à gogo, l’absence de brouillard, les escalades à la
pelle, le ciel bleu azur de la plus haute vallée des
Hautes-Alpes, l’avalanche de raidillons, la contrée
chargée d’histoire et de coutumes et la flopée de
sentiers de randonnée, mon coup de cœur va sans
hésitation au gîte « Les Astragales », du nom
d’une fleur rarissime qui pousse dans la région. Le même
gîte d’étape qui aurait dû m’héberger un lustre plus tôt
sans la mauvaise chute dans le massif de l’Assietta.
Danielle et Pascal, les propriétaires de céans, se sont
coupés en quatre pour rendre mon séjour le plus « cool »
possible. En effet, après une longue journée de solitude
à plus de 2500m d’altitude et ce, très souvent sur des
sentiers à peine tracés, il était légitime que le
randonneur aspirât chaque soir à se retrouver comme chez
soi. A cet égard, je rends à Pascal ce qui lui
appartient. Passionné de montagne, il ne s’est jamais
fait prier pour mettre les petits plats dans les grands.
Danielle, pour sa part, surveille sans cesse l’assemblée
de son regard perçant. Tous les commensaux doivent être
satisfaits. On ne badine pas avec l’étiquette aux «
Astragales ».
Pas de souci de vélo. Il est abrité dans une remise
verrouillée. Le repas copieux et convivial, à un prix
démocratique, est un des atouts majeurs de l’auberge.
Car, il y a aussi des chambres d’hôtes pour les
réfractaires au dortoir. Bref, en un mot, ce gîte
a été la cerise sur le gâteau de mon séjour.
A toutes fins utiles, en voici les coordonnées :
Gîte « Les Astragales » - 05350-Chäteau-Ville-Vieille
(France) – Tél-fax 04.92.46.86.13
E-mail :
astragales.queyras@free.fr
Quant à moi, je retournerai picorer les étoiles comme
les coqs de la légende. Le Queyras me colle maintenant à
la peau comme le goudron aux pneus de ma petite reine.
Quatre
ans plus tard.
Enfin, me voilà de retour dans le Queyras. J’installe
mon quartier général aux Astragales de
Château-Ville-Vieille. Le choix coule de source. En
effet ! Pas question de changer de formule après les
excellents souvenirs du séjour précédent.
Bien ! Et le vélo, qu’en est-il ?
Il me reste encore un bout de route à passer au peigne
fin ; la départementale D947 qui s’en va mourir de
l’Echalp à la cote 2127, un belvédère situé au pied du
Mont Viso. La route, qui court le long du Guil, n’a
jamais fait l’objet d’une étude ni même d’un
commentaire. Pourquoi ?
Le Mont Viso
Deux raisons majeures sont
à l’origine de cette méconnaissance et, par conséquent,
du faible taux de fréquentation de cette route. Après
l’Echalp, la route se dégrade très fort et se transforme
en chemin forestier après la traversée du Guil. En
outre, la pente s’accentue méchamment. Au lieu dit de la
« La Roche Ecroulée » une barrière munie d’un avis
officiel interdit l’accès à tout engin touristique et
tout autre véhicule non autorisé. Selon les autochtones,
cette interdiction ne serait d’application que durant la
haute saison.
Effacée depuis toujours par les cols de l’Izoard et de
l’Agnel, la route développe cependant le même profil que
celui du col du Lautaret, à savoir 26 km pour 740 m de
dénivellation. Or, le Lautaret, lui, il a acquis ses
lettres de noblesse. Il est même considéré comme un
obstacle majeur. A la différence de la route du Haut
Queyras qui échoue dans un cul de sac au pied du mont
Viso, celle du Lautaret est un axe routier important en
bordure du Massif des Ecrins. Je vous assure cependant
que le Mont Viso n’a rien à envier à la Meije.
Sa haute masse, visible de
loin, domine tout le Piémont et a longtemps passé pour
le plus haut sommet des Alpes. « Majoresque cadunt altis
de montibus umbrae… » dixit Virgile, l’auteur de
l’Enéide.
Mais ce n’est pas tout ! Des siècles avant l’ouverture
des cols de l’Izoard, Agnel, Lautaret , Galibier, et
autre Bonette, le col de la Traversette, qui est l’issue
naturelle de l’actuelle départementale D947, avait
défrayé la chronique du Moyen Age en tant que voie
surprise pour envahir l’Italie. Le col, qui relie Abriés
à Crissolo dans la vallée du Pô, se niche entre le Mont
Graner (3179m) et le Mont Viso (3841m).
Il était donc une fois…
Pendant que Charles VIII se farcit la route des pèlerins
de Rome c’est à dire les lacets du col du mont Genèvre,
qui est à l’époque la voie la plus aisée et la plus
courte pour passer en Piémont, il fait passer ses
archers à 2915 m d’altitude par le tunnel de la
Traversette, le sentier, le plus élevé que l’on connût.
On ne sait toujours pas pourquoi, sinon peut-être pour
se prévaloir d’une « première » en ce secteur.
Une particularité singulière distingue la Traversette.
Sous le col, a été forée dès 1480, à l’instigation du
marquis de Saluces avec l’assentiment et le concours du
roi de France Louis XI, le père de Charles VIII, une
galerie ou « pertuis » qui, bien que modeste (moins de
200 m de long, à peine plus de 2 mètres de large sur 2
de haut) n’en est pas moins, de loin, le premier en date
des tunnels alpins.
En 1515, année de Marignan, le gros de l’armée de
François Ier passe le col de Vars, puis celui de Larche
et descend sur Coni, surprenant l’ennemi qui l’attendait
au débouché du Montgenèvre. Cet effet de surprise est
encore accru par l’intervention d’une flanc-garde de
fantassins et de quinze cents cavaliers qui entrent en
Italie par le col de la Traversette et le col Agnel.
Le Grand Belvédère et le Mont Viso
Comme
on peut le constater, le col était pour le moins
fréquenté à une certaine époque.
De nos jours, ce sont les randonneurs pédestres et
quelques bergers qui ont pris le relais des militaires.
Un rare cyclo arpente aussi les lieux à l’occasion.
Alors…il arrive qu’un berger siffle le rappel de ses
chiens et les lui colle aux fesses. Ce n’est pas de la
fiction. C’est une histoire belge vécue. Mes artères
n’ont pour autant pas été envahi par un flot
d’adrénaline. Une chance car j’avais les jambes en
compote mais… le Guil me protégeait des fauves.
Quant aux cynophobes, il est préférable qu’ils
s’abstiennent de s’aventurer dans ce chemin interdit.
Cela leur évitera des sueurs froides.
Toutefois…
Les jappements de rage des clebs n’avaient été qu’un
vague prélude à ma démonophobie. Un peu plus tard dans
la journée, je fis l’objet d’une agression insolite
d’une rare violence. Par le couple d’insectivores le
plus inoffensif de la planète.
Terminus de l’étape. La forteresse de
Château-Ville-Vieille (1385m) est un des sites les plus
photographiés de la vallée. Pour ne pas déroger à la
règle, me voilà donc à pied d’œuvre sous les remparts de
la ville, l’appareil photo en mains.
Château Queyras ( Château - Ville - Vieille)
Je déambule sur le pont près du cimetière qui enjambe le
Guil. Je vais. Je viens. J’avance. Je fais un pas en
arrière, un pas à droite. Je fignole l’angle de prise de
vue. Je troque ma licence cyclo contre un brevet de
paparazzi. Le pont se transforme en travelling-bridge.
C’est ok ! La casquette de traviole, les lunettes sur le
front, le numérique armé, je vise…
Vroum ! Vroum ! Le bruit strident d’un engin téléguidé
passe au-dessus de ma tête. Je me retourne, j’écarte les
mirettes. Rien. Je n’ai pourtant pas la berlue et je
n’ai fait aucun excès. Etrange !
Je ne désarme pas. A nouveau, je cadre la forteresse
dans mon viseur.
Vroum ! Vroum ! A deux poils de ma bille.
Je sursaute. Rien à voir ! Ce n’est pas possible ! Je ne
souffre pourtant pas d’une cataracte précoce ! C’est à
devenir dingue !
Vroum ! Vroum ! Cette fois, j’ai mes agresseurs dans mon
collimateur. Ils sont deux : des oiseaux ! Un couple
d’hirondelles. Qu’est-ce que j’ai fait au bon dieu pour
leur taper à ce point dans l’œil ? Elles se livrent à un
drôle de numéro. Je les regarde d’un mauvais œil. Dans
un premier temps, elles se laissent porter par le vent,
redressent, amorcent un retournement et tombent sur moi
comme la foudre. J’ai intérêt à ouvrir le bon œil car le
temps de plier les genoux, voilà que les kamikazes me
rasent le cuir du crâne. Les hirondelles se remettent en
formation, balancent les ailes, prennent de l’altitude
et plongent à fond de balle en reprenant ma tronche
comme cible. Elles piquent du nez. J’esquive l’attaque.
Vroum ! Vroum ! Je suis victime d’un couple de
voltigeurs qui renonce d’avoir les yeux en face des
trous ! En effet ! La séance de rase-mottes va se
poursuivre encore un bout de temps avant que les
passereaux constatent enfin que je ne suis pas une
grande sauterelle.
Comme Monsieur Jourdain, je venais d’expérimenter un
nouveau tape-à-l’œil, une variante de miroir à
alouettes, composé d’une simple paire de lunettes et du
boîtier alu du numérique. Il ne me reste plus qu’à faire
breveter le système !
Rideau.
Cadran solaire à Arvieux
Plus que jamais, là, où les coqs picorent les étoiles,
commence le bonheur.
Eté 2004
Commentaires de :
Jean-René FARRAYRE
CC n° 5996
Je viens de lire avec plaisir ton récit concernant "la
Traversette"... Cela m'amène à apporter quelques
précisions....
D'abord Charles VIII (ce devait être un obsédé des
hauteurs) c'est lui qui commanda à ses hommes
d'escalader, pour la première fois, le Mont Aiguille
(«Mont Inaccessible" jusque-là) en 1492.
Le VTT n'étant pas opérationnel en l'occurrence, ils
utilisèrent des échelles et des cordes. D'après un ami,
qui vivait à l'époque de ce roi, c'était pour éblouir
une belle ! Mais le monarque ne s'y essaya pas lui-même
(tout comme moi qui y découvrit le vertige lors d'une
tentative d'escalade, de niveau pourtant à peine plus
élevé que l'escalier qui conduit au portail de la
cathédrale du Puy !). Le passage de la Traversette était
d'évidence plus utilitaire : le pillage de l'Italie du
Nord était au programme, mais il fallait passer par les
hauteurs !
Quant aux hirondelles... Durant le siècle passé, dans le
Turini, je pédalais paisiblement lorsque je fus attaqué
par un couple, non pas d'agents de police montés sur la
célèbre bicyclette fabriquée par la regrettée "Manu",
mais bel et bien par les cousines de celles que tu
évoques.
Plus loin, après avoir subi leurs piqués incessants, je
découvris, plaqué sur un léger encorbellement de rocher,
un nid, que les courageux oiseaux s'efforçaient de
défendre contre l'agresseur potentiel, que je n'étais
pourtant pas... En consultant les ouvrages
d'ornithologie ad hoc, je découvris qu'il s'agissait de
l'hirondelle de rocher (hirundo rupestris) et qu'elle
avait la particularité d'être agressive en période de
nidification...De fait mes voisines, des hirondelles de
cheminée (hirundo rustica), s'attaquent à mon chat,
lorsque le nid est plein, mais pas à moi.
21.08.2012
farrayre@wanadoo.fr
bruffaertsjo@skynet.be
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