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Un beau matin à Bourg,
ville marché de l’Oisans autrefois célèbre pour ses
colporteurs, merciers avec leur hotte, fleuristes, etc.
Je crains la pagaille et la cohue du départ, et à mon
étonnement, c’est tout l’inverse qui se produit. Les sept
heures sonnent à l’église quand trois mille cyclos
s’élancent le cœur léger en quête d’une accessible étoile.
Une aventure longue de 173 km développant 5000m de
dénivellation faisant franchir les conquérants de l’inutile
les cols de la Croix de Fer, du Télégraphe, du Galibier, du
Lautaret et enfin les lacets de l’Alpe d’Huez.
Les sept premiers kilomètres se déroulent sur une longue et
large ligne droite où la circulation est entièrement
canalisée par la gendarmerie locale.
Détestant le grégarisme, je glisse en queue de peloton tant
et bien qu’à La Rochetaillée, je ferme la marche de la
procession. Juste au pied du col de la Croix de Fer. C’est
aussi à cet endroit que l’Eau d’Olle vient grossir la
Romanche qui, comme toutes les grandes rivières alpines, a
commencé comme un torrent de carte postale et qui finit,
épuisée, détournée et polluée par les turbines et les
usines.
Les conditions atmosphériques sont excellentes. Quelques
nuages inoffensifs vagabondent dans le ciel. Une belle
journée en perspective ! Très vite, dès les premiers
lacets, le peloton s’égraine naturellement. Une couverture
médicale importante composée de médecins et de secouristes
sécurisent l’ensemble des concurrents. On les retrouvera
tout au long du parcours à différents points stratégiques.
Nous remontons cette région
unique du Haut Dauphiné, entre les vallées de la Romanche et
celle de La Maurienne, là où les rochers de l’Aiguille
d’Arve repoussent les contreforts de la chaîne de Belledonne
et du massif de la Vanoise.
Après Le Rivier, la route nous permet de récupérer l'espace
d'un souffle mais, brusquement, elle se relève à hauteur
du Barrage de Grand Maison.
A la Combe d’Olle, je m’offre le plaisir de déserter la
caravane pour me farcir hors menu les trois cents mètres qui
me séparent du col de Glandon. Vite fait bien fait, je
rebrousse chemin pour rejoindre la file des pèlerins qui
n'en finit pas de monter.
Le sommet de la Croix de Fer se profile à l’horizon et
accueille bien du monde sur quelques mètres carrés. L’armée
française, qui est venue prêter main forte, a installé une
immense tente qui abrite un poste de ravitaillement. Les
ploucs sont chargés d'une mission qui ne leur est pas
courante, à savoir celle de distribuer les aliments aux
participants.
La route étroite et sinueuse plonge dans la vallée de la
Maurienne. Les voitures suiveuses sont interdites.
L’initiative est appréciée par l'ensemble des cyclos qui ne
se fait pas prier pour dévaler à fond la caisse. Cure d'air
pur garantie sur facture, Arthur ! En toute sécurité
puisque les virages dangereux sont signalés.
St Jean de Maurienne. Les organisateurs ont choisi cette
petite ville comme aire de rencontre pour les
accompagnateurs. Cette cité savoyarde doit son importance à
l’ancien siège épiscopal et à son industrie d’aluminium. Je
m’y restaure pendant qu’une brave Saint-Jeannoise remplit ma
gourde d’une eau tiédasse.
Route d’accès au col du Galibier
St Michel de Maurienne.
Regard furtif aux Ets Vuillard qui m'ont aimablement
dépanné un jour de guigne.
L’ascension du Télégraphe me paraît aussi pénible que deux
ans plus tôt à l’occasion de mon tour de Savoie. Mon sac à
dos martèle mes lombaires. Je suis au bout du rouleau.
Tout en crapahutant, je l’enlève pour le reposer un instant
sur le cintre. Instable, le sac glisse et, en deux temps
trois mouvements, il se retrouve coincé dans les rayons de
la roue avant. Ouf ! Le bon réflexe m'évite la chute
d’extrême justesse !
L’ombre se fait rare.
Passé le Télégraphe, on surplombe les gorges de la
Valloirette.
Un rien plus tard. Valloire, break de la mi-journée. La
meute des cyclos se bouscule autour de tables immenses sur
lesquelles les organisateurs ont étalé une multitude de
rafraîchissements et un large assortiment de victuailles.
Quelle belle initiative ! Ce sera nécessaire pour venir à
bout du géant des Alpes.
Après Valloire, la montagne retrouve l’aspect
caractéristique des Hautes Alpes ; des pentes recouvertes
d’éboulis, des prairies de fond de vallée dépourvue
d’arbres, des moutons à perte de vue.
La Meije dans le massif des Ecrins (photo Laurent
Gernez)
Au Plan Lachat, la route épouse le flanc de la montagne,
virevolte à 180 degrés et nous hisse dans un paysage de plus
en plus aride. Un cyclo est affalé les quatre fers en l'air
sur le bas-côté du chemin. Un peu plus loin, c'est au tour
de jeunes cyclo-campeurs bernois qui poussent avec peine
leur monture. Cela promet du plaisir !
J’approche la Bergerie. Un véritable dépotoir de flacons
et de gobelets en plastique indique un récent ravitaillement
en eau. Pas beau, charlot ! De gros nuages nous
enveloppent maintenant et rendent notre progression moins
pénible.
Le Galibier qui fait communiquer la Maurienne au
Briançonnais d’une part, et à la Romanche d’autre part, est
situé à la limite entre la zone atlantique et la zone
méditerranéenne. Il culmine actuellement à 2645m et depuis
la suppression du tunnel, il a grandi de 89m. C’est sans
doute la partie la plus belle de toute la route des Grandes
Alpes parce qu’il offre le plus beau panorama sur la Meije
et le massif du Pelvoux. Hélas ! Au sommet, où se tient
un contrôle discret, la vue baigne dans les nuages.
La route mouillée polarise toute notre attention. Quelques
virages judicieusement tracés nous amènent dans les
pâturages entourant le col du Lautaret et son jardin alpin.
Je me méfie des éboulis qui, trois jours plus tôt,
obstruaient partiellement la route.
Les treize dents et les grandes soucoupes rougissent de
plaisir. Nous dévalons à tombeau ouvert sur la Grave.
Cette bourgade, qui se pique d’être un des plus beaux
villages de France, contemple "Sa Majesté La Meije" qui est
au Dauphiné ce que le Mont Blanc est à la Haute Savoie. La
route se relève un peu avant le lac de Chambon. J’en
profite pour enlever mon survêtement. Le lac, qui fait la
joie des véliplanchistes, est en fait un bassin
d’accumulation qui s'insère dans les gouffres de la vallée
de la Romanche. Je récupère un peu dans la descente de la
« Rampe des Commères » jusqu'au « Clapier », qui annonce
l’ultime ligne droite avant le Bourg d’Oisans et l’Alpe
d’Huez.
Seconde aire de rencontre au pied des lacets de l’Alpe.
Je m’arrête un moment près
de mon véhicule pour me débarrasser de mon sac à dos.
Je tente de me refaire une santé bien que je ne sois
guère rassuré en voyant un concurrent complètement cuit
qui agonise dans son auto.
Il reste 13 km à parcourir ! Une paille ! En montagne,
il n’y a pas que des cols qui font communiquer les
vallées entre elles mais aussi des routes qui relient au
monde des vallées sans issue ou des terrasses situées à
l’écart. C’est le cas de l’Alpe d’Huez – balcon
ensoleillé au pied des Grandes Rousses- région où quand
il n’y a pas de soleil, il fait nuit. Cette affirmation
n’est pas de ma plume, ce sont les prospectus du terroir
qui le proclament.
Les jambes en coton, je serre les dents. Faire le vide
dans ma tête, voilà ce qui reste de mieux à faire !
J’essaye d’en garder un peu sous la pédale. Lorsque
j’entame le 21me virage, je me rends vraiment compte de
la signification que revêt l’Alpe d’Huez dans la grande
boucle. A la Garde, la vue s’étend sur la large vallée
de la Romanche. J’ai horriblement chaud et il me manque
des kilomètres. Lentement, péniblement le village
d’Huez est atteint alors que force concurrents me
dépassent. Peu importe, poursuivant mon chemin de
calvaire, je finis par me hisser à l’Alpe qui est une
prairie plate offrant de magnifiques échappées sur le
Pelvoux. Derrière la patinoire, c’est gagné. Là, une
ultime restauration est proposée au cycliste.
Craignant les refroidissements, je me hâte à vider les
lieux pour la vallée. Fatigué, lucide mais bel et bien
bronzé.
Eté
1985
bruffaertsjo@skynet.be
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