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Dole by night
Comme les vins, chaque année les voyages itinérants sont
souvent d'un cru différent. Il arrive que l'on table sur une
récolte exceptionnelle et au moment de l'emballage final, il
n'y a plus qu’un arrière goût d’amertume qui se détache
d’une bonne longueur du peloton. Mais… l'inverse est tout
aussi vrai ! Heureusement !
La Source du Lison : une
merveille de la nature
Les trois petits cols figurant au programme 2003 auraient dû
augurer d'une année quelconque. Le Jura – j'en conviens -
n'est pas comparable avec les best-sellers de la randonnée
comme "La Route de la Lavande" ou "Les Crêtes de l'Assietta".
Et pourtant ! Ce ne sont pas les cirques, cluses, clues,
crêts, culées, reculées, gorges, vals, vaux et monts qui
font défaut. Au contraire, ces derniers auraient plutôt
tendance à se bousculer au portillon. Il est vrai que ces
termes géodésiques se trouvent rarement mentionnés, sinon
jamais, dans la revue des Cent Cols. Quant aux cols
jurassiens, ils se comptent sur les doigts de la main. De
grâce, ne tirez pas sur le cycliste qui se goure d’une ou
deux unités !
Ainsi donc, en un quart de siècle de publication, la revue
n'a-t-elle fait qu’une seule fois allusion au Jura. Une ode
d'une dizaine de lignes. Une larme tristounette par rapport
aux voluptés que la région propose aux cyclotouristes qui
roulent avec des yeux en face des trous.
D’autre part, tout un chacun s'accorde pour affirmer que la
raison d'être de la revue est de faire rêver les cyclos et
de leur donner des idées d'évasion. Aussi, ignorer un massif
montagneux, alors que tous les géodésiens chantent à
l'unisson, est-il le moyen le plus radical pour qu'il soit
déserté par la majorité des randonneurs plumitifs et des
chasseurs de cols. D'accord ! La pénurie de pas, collets,
baisses et autres cols répertoriés dans les monts du Jura
n'a aucun artifice pour attirer les membres de la confrérie.
Ok, d’accord ! Je persiste et je signe ! Pourtant, de
l'autre côté de la frontière, en Suisse dans les Franches
Montagnes, on les
ramasse à la pelle sur quelques kilomètres carrés sans se
casser le tronc. Le Jura suisse fait la fête aux cols et à
ses chasseurs tandis que son vis-à-vis français leur fait la
gueule et se refuse aux complaisances des coliteux quoique
le relief tournicote et virevolte tout autant dans les trois
dimensions. Pourquoi ? Voilà encore une énigme à élucider !
Mais là n'est pas mon propos ! Convenez toutefois qu'à
défaut de messe, le Jura vaut bien un credo ne fût-ce qu’en
sourdine. Donc, pas question de miserere ou de profundis
mais avouez qu’un gloria aromatisé de sapin, c’est bien plus
sympa.
Vue sur le Bief du Jura
Malgré une moisson catastrophique (la plus mauvaise de tous
les temps), je reviens gagnant. N'ayons pas peur des mots :
"Cette année, j'ai été gratifié d'un cru supérieur".
Et pourtant…
A peine 4 jours de route, 480 km et 4400 m de dénivellation.
Une misère ! Des trois cols inscrits au programme, il faut
en éliminer deux qui sont des obstacles mineurs. Il n'y a
que le col de Joux, au départ de Clairvaux-les-Lacs, qui ait
droit de cité. Il est le seul qui réunisse toutes les
qualités de ses frangins alpins : une agréable mise en jambe
dans la vallée du Drouvenant, l’attaque sèche de la côte
sous le couvert d'une forêt mélangée, un faux plat en alpage
près de St Maurice, deux intermèdes rassurants en pays
civilisé et une finale qui n'en finit pas entre les sapins
et les épicéas ! Qui n'en finit jamais ! Qu'on suppose à
portée de main mais qui se dérobe à chaque pédalée ! Et,
quand on bascule sur le versant opposé, le cyclo échoue au
bout d'une faible perte d'altitude dans une vallée qui est
une copie conforme aux hautes vallées alpines. Des remontées
mécaniques, des narcisses, des gentianes, des villages
tentaculaires et une brise qui remonte la vallée. Un endroit
qui respire ! C'est tout dire !
Cascade du Hérisson : Le Saut de la Forge
Au soir de cette merveilleuse ascension eut lieu une
sympathique rencontre avec le personnage qui a mis sur pied
les 6 jours cyclistes de Vars. De la conversation, il en
ressortit que nous avions des connaissances en commun. Une
source inépuisable de ragots. Sorry ! On ne se refait pas !
Cette pluie de paroles se répandit en toute harmonie pour
compenser mon soliloque de la veille. Une pleine journée
employée à la découverte d'une source, de gorges, de
barrages, de lacs et de cascades : bref toute la flotte de
la comté déclinée à tous les temps sous un franc soleil de
plomb. Avec pour seul partenaire à qui causer, une colonie
de corbeaux !
Quant aux mordus de l'anecdote, avec le Michelin vert ils
sauront tout, tout, tout, ils sauront tout sur le Jura ! Le
haut, le bas, le plat, le gras, et tralala ! En effet, le
Bibendum vert commente même l'inédit. Comme il attribue des
étoiles aux sites remarquables, souffrez, chers confrères de
notre très honorable Club des Cent Cols que je revienne tout
étoilé de cette courte randonnée. Me voilà maintenant
premier généralissime "Vénérable" jurassien ! La « Fête du
Sel » à Salins-les-Bains, la source et la résurgence du
Lison, la Forêt de Joux, le château de Nozeroy, les gorges
de Langouette, les cascades du Hérisson, le lac de Chalain,
le barrage de Blye, Moirans-en-montagne, la capitale du
jouet, le barrage de Vouglans, le cirque de Ladoye,
Château-Châlon et son vignoble à perte de vue, Arbois et la
Reculée des Planches, la vallée de la Loue, Dole et cerise
sur le gâteau, le cirque de Baume-les-Messieurs, sont les
superstars rencontrées, découvertes, visitées, explorées et
parcourues tout au long du périple. Le tout en 4 jours et
par-dessus le marché, j'ai encore fait un saut à Nance pour
me recueillir sur la tombe du grand-père et une halte à
Bletterans pour faire resserrer mon pédalier et me taper la
cloche. A défaut de cols, mon palmarès s’est enrichi d’une
constellation qui gravite à une année-lumière des
nébuleuses.
Petit aparté pour Baume-les Messieurs. Voilà au moins un
trois étoiles accessible à tout un chacun et qui donnera
deux minutes quarante cinq de bonheur non-stop tout un
après-midi. C’est un lieu divin. Du soleil (indispensable),
une remarquable abbaye, des cascatelles qui vous
transportent au pays des sylphides et des dryades, des
gigantesques falaises qui vous chavirent la vue, une route
qui musarde le long du Dard, un resto, l'éternelle buvette
au bout du cul de sac, une grotte somptueuse dont l’entrée
au pied du rocher évacue le trop-plein d’eau après de fortes
pluies et pour les coliteux, une ascension aussi pentue que
celle de Navacelles (Cévennes) pour mériter le belvédère
situé au-dessus des « Echelles de Crançot » en font une
excursion que tout cyclotouriste éclectique se doit de
compter dans ses tablettes.
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Arbois : la Reculée des Planches
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Mais mon coup de cœur n’est pas d’ordre contemplatif. Cette
fois, il est de nature « humain ».
Reprenons les événements dans l’ordre chronologique. Ma
première étape échouait à Censeau. Un petit village
insignifiant perdu dans le Haut Jura sur la route de la
Suisse. Perdu mais pas pour tout le monde. Surtout pas pour
les arrière arrière arrière descendants de Louis Pasteur.
Or, ma grand-mère maternelle, elle-même issue de la lignée
des Pasteur, était originaire du bled. En outre, cinquante
ans plus tôt, il m’avait fallu accompagner mes vieux pour
saluer l’aïeul du Haut-Jura. Un grand-oncle. Le frère cadet
de ma grand-mère. Le seul survivant mâle de la branche. De
cette visite contrainte et forcée, il m’était resté des
images très vivaces.
Donc, je fais étape à Censeau. Dans un premier temps, j’ai
du mal à reconnaître la ferme qui a été complètement
retapée. Elle me laisse perplexe. Ce n’est qu’après le repas
du soir que je décide de satisfaire ma curiosité, d’autant
plus que la bâtisse est située à un jet de pierre de
l’hôtel. Rôdant à proximité de la demeure, voilà que
j’interpelle un voisin qui me met aussitôt au parfum. La
maison est bien celle du grand-oncle Louis, un descendant
direct de la branche collatérale du grand savant.
Je remercie mon informateur et, au moment où je longe le
jardinet de l’ancienne ferme, une force de la nature, moulée
dans un T-shirt blanc arborant une barbe poivre et sel en
broussaille, se dirige d’un pas énergique dans ma direction.
Je l’apostrophe tout à trac. « Savez-vous que vous habitez
dans les murs de Louis Pasteur ? »
"Eh ! Comment donc que je le sais ! C'était mon grand-père"
me répond-il du tac au tac.
Mon identité est à peine déclinée qu'il m'attire dans son
antre. Les atomes s'accrochent spontanément ! Ce n'est pas
tous les jours que des petits cousins, qui totalisent à eux
deux une centaine de piges, se rencontrent pour la toute
première fois. En outre, on s’intéresse tous les deux à
l'histoire de nos ascendants. Pierre se précipite dans la
bibliothèque et en revient muni d’une bible qui traite de la
généalogie des Pasteur. Il ressuscite la mémoire de son
aïeul, il dépoussière les photos de famille d’avant et
d’après-guerre, il commente les invités du mariage de sa
maman, il raconte les heurs et malheurs des grands-oncles et
des grands-tantes, il passe au crible leur descendance et se
plante dans la branche de ma grand-mère. Je lui refile mes
connaissances en la matière. Il rectifie ses notes et
m’offre le godet qui scelle notre amitié.
Quand la machine à remonter le temps se re-stabilise sur le
présent, force m’est de constater que les aiguilles de la
montre n’ont pas chômé. Il est minuit moins le quart. Il est
plus que temps de lever mes fesses. Bon sang ! Qu’est-ce que
c’est dur de s’arracher quand on se sent bien !
Les vignobles de Poligny
Echange des coordonnées
respectives et je prends mes jambes à mon cou jusqu’à
l’hôtel. Là, pas la moindre lumière, même plus une loupiote.
Les volets sont clos et les portes verrouillées. Je suis à
la porte. Toute la petite communauté de l’hôtel ronfle dans
les bras de Morphée. Comme il n’est pas dans ma nature
d’enquiquiner les gens, je m’en retourne dare-dare chez le
cousin. Dans l’espoir qu’il y ait encore de la lumière.
Sinon je suis bon pour la belle étoile. Une étoile qu’il
faut encore inaugurer chez Michelin. Quelle affaire ! Me
voilà un SDF alors que l’hôtel a été payé rubis sur ongle et
que le cousin m’avait offert d’emblée le gîte que j’avais
refusé.
Ouf ! Il y a encore de la lumière ! Pierre ouvre la lourde
avec toujours le même empressement et… met à ma disposition
une grande chambre qui va me procurer le sommeil réparateur.
Réveil de bonne heure. Trop Tôt. Mes hôtes sont encore en
déshabillés quand je prends définitivement congé d’eux.
Quant aux tenanciers de l’hôtel, il me faudra poireauter
encore un bon bout de temps avant de réintégrer ma chambre
où toilette, déjeuner, paquetage et arrimage des bagages sur
la randonneuse seront bouclés en moins de temps qu’il faut
pour le coucher sur le papier.
Quoi qu’il en soit, ce que je sais aujourd’hui, c’est que
chasser des cols, c’est bien; découvrir le Jura, c'est
mieux; mais dénicher un petit cousin, c’est merveilleux !
Eté 2003
bruffaertsjo@skynet.be
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