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Les Pyrénées Orientales
« LE MERVEILLEUX SAULT DES PYRENEES »
Voilà bientôt vingt-cinq ans que je sillonne les routes
montueuses de France et de Navarre en cyclo-randonneur
itinérant. De préférence en solo et surtout sans intendance,
ni de près ni de loin.
Mais qu’est-ce qui peut bien motiver un homme à trimbaler
tout son saint frusquin comme un âne bâté alors qu’il existe
des formules trois étoiles qui déchargent le cycliste de
tout souci excepté celui de pédaler ? Une chance encore
qu’il faille tourner les manivelles ! Le débat n’est pas
ouvert. Pas question ici de me justifier à l’aide d’une
argumentation fouillée ! J’estime simplement que randonner
en solo, c’est la seule et unique façon de s’immerger dans
une région afin d’y lever un coin de voile sur un des
aspects insolites et insoupçonnables. Point.
Le second préalable est une observation récurrente. Je
constate que le pourcentage des pentes en montagne
s’accentue davantage chaque année. Résultat ! Les étapes se
raccourcissent au détriment de la dénivelée qui, elle, reste
constante. Encore heureux que le poussif, lui aussi, monte
au ciel ! C’est ce que je suis encore parvenu à faire cette
année dans le Conflent, le Pays de Sault, le Capcir et la
Cerdagne. Des régions qui nichent aux confins de la France à
proximité de la principauté d’Andorre. Elles se situent plus
précisément dans les départements des Pyrénées Orientales,
de l’Ariège et de l’Aude. Comme il n’entre absolument pas
dans mes intentions de vous conter par le menu les
péripéties de ma chasse aux cols, opération fastidieuse pour
le non initié, je m’en vais vous brosser une sorte de
portrait chinois à raison d’un volet par étape.
Il me semble que c’est la méthode la plus adéquate pour
édifier un tant soit peu la curiosité d’un homo sapiens.
Mon entrée en matière commence par une digression sans
rapport avec les Pyrénées. Le périple avait été programmé
pour une durée d’une dizaine de jours. Comment expliquer dès
lors ma soudaine décision à ramener l’escapade à 7 jours ?
Sans préméditation, sur un coup de tête ! Or, le chiffre
sept n’est pas le nombre quelconque que vous vous imaginez !
A titre d’information, notez que les exemples se bousculent
au portillon. Ainsi, on a les 7 péchés capitaux, les 7 jours
de la semaine, les 7 merveilles du monde, les 7 collines de
Rome, les 7 frères d’Ephèse, etc. La durée de mes voyages
qui couvre très souvent une période de 7 jours, fait-elle
l’objet d’une simple coïncidence ou d’un sortilège ? Je
commence franchement à me poser des questions. L’avenir me
l’apprendra-t-il un jour ?
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Le Canigou (2784m) : la montagne fétiche des catalans
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Mosset : au pied du col de Jau |
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S’il ne fallait garder qu’un souvenir de
l’étape n° 1, ce serait un élan de cœur inespéré qui, au
soir d’un après-midi de tramontane dans le nez, est
intervenu au moment où mon épigastre criait famine. Nous
étions un lundi. Tous les commerçants de Sournia, auberge y
comprise, étaient fermés pour des raisons multiples. La cata,
le ramadan dans le désert, rien de consistant à me mettre
sous la dent. Faisant part de mon désarroi à un couple de
villageois, celui-ci me proposa spontanément deux œufs que
je refusai pour des raisons non avouables. L’homme et la
femme ne s’en tinrent pas pour battus et ils me
contraignirent à accepter une boîte de cassoulet. J’avoue
platement que ce plat, accompagné d’un quignon de pain, a
été apprécié davantage que ne l’eût été un menu
gastronomique proposé par les quatre toques de « Comme chez
Soi »
S’il ne fallait garder qu’un souvenir de l’étape n° 2, ce
serait les différents témoignages des
autochtones au terme de la journée « vélo-mélo-dodo » Pour
commencer, un « Rmiste » ou un informaticien mis au travail
qui avait trouvé son pied en se recyclant dans l’apiculture.
Ensuite, la tenancière du foyer qui sans retenue me débobina
les réalités quotidiennes d’un village moribond dont la
moyenne d’âge évoluait entre septante et nonante ans.
Escouloubre, le village en question, est devenu une cité
fantôme, que maire, curé, médecin et commerçants ont déserté
à tout jamais. Les jeunes s’enfuient parce que la région
n’est pas rentable. Les habitants guettent le passage des
commerçants ambulants ou bien ils doivent se taper «
Carrefour » qui se trouve à trente bornes de là. La
solidarité n’étant pas un vain mot dans cette contrée, il a
été dressé entre riverains un inventaire des médicaments en
cas d’urgence. Quant au curé, il est devenu un intouchable.
Il est même arrivé qu’un sacripant ait soulagé un congénère
avant le grand sprint final. Ici, les kilomètres n’ont pas
d’importance, on compte en heures et en journées. Ainsi,
l’agriculteur du coin, qui possède plusieurs cordes à son
arc, est obligé de faire ses salaisons à l’autre bout de la
montagne, dans une autre vallée. Une fois par mois, il
consacre une partie de son temps à cette activité dans un
établissement reconnu par l’état. Ses enfants se sentent mal
dans leur peau. Ils ne pensent qu’à une chose : décamper au
plus vite. Mais les vieux tiennent bon. Il me faut souligner
en « magicolor » la convivialité exceptionnelle qu’on ne
retrouve plus que dans ces régions épargnées par le tourisme
de masse. Ainsi, l’hôte s’inquiète de votre gîte suivant ou
de l’ouverture d’un col en passant un coup de fil en
stoemelinks * à un contact du coin ! Aussi, soyez « classe »
et éliminez à tout jamais « bouseux » et « cul terreux » de
votre viatique vocabulairiquement vôtre. Ces gens-là, mon
bon monsieur, ont une bonne longueur d’avance sur nous en
savoir-vivre.
S’il ne fallait garder qu’un souvenir de l’étape n° 3, ce
serait une pause d’exception au « Relais du Pays de Sault »
En matinée, une très courte étape en ligne pour assurer le
gîte. Pique-nique au bord d’un ruisseau, ensuite un
après-midi, sous un soleil de plomb sur un coteau verdoyant
truffé de cols et de sangliers en vadrouille. En fin de
balade, quelques bières éclusées au « Logis de France » pour
assurer une saine réhydratation. Quant au relais, il est
essentiellement fréquenté par des marcheurs randonnant sur
les sentiers cathares. Après m’être tapé la cloche grâce à
d’excellentes cochonnailles et autres cochonneries arrosées
de pinard au goût de framboise, je m’invitai à la table de
Stéphane pour un brin de causette. Ce dernier se fera un
plaisir de me tirer le portrait le lendemain au moment du
départ et de me le faire parvenir par e-mail quinze jours
plus tard.
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Départ matinal du "Relais de Sault"
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S’il ne fallait garder qu’un souvenir de l’étape n° 4,
j’hésiterais entre les magnifiques panoramas qui
s’échelonnent de la Chioula au port de Pailhères et une
anecdote insolite qui relève de la superstition, voire de la
sorcellerie. Quid ? Des points de vue et des paysages
grandioses, il y en sera encore question plus loin. Donc,
priorité à l’historiette du gri-gri.
L’après-midi était déjà fort avancé. Des roulements de
tonnerre grondaient sur les sommets des environs. Pas très
rassuré, je m’enquis des coordonnées d’un gîte-auberge situé
en hauteur dans la Forêt des Hares et je mis toute la gomme
pour y arriver avant que St Pierre ne s’avisât à ouvrir les
vannes célestes. « Le Cabanas » était tenu par un jeune
homme d’une petite trentaine d’années. Un ancien marin. Dans
la salle de resto, un poupon, qui n’arrêtait pas de sourire,
gigotait dans son relax les petons en liberté. Comme les
clients brillaient par leur absence, le patron se confia et,
petit à petit il se mit à me conter ses déboires. C’est
ainsi que je sus que la mère s’était tirée à la naissance de
la môme et que par voie de conséquence, il se trouvait seul
à s’occuper de la petite Océane. Dur, dur de pouponner et de
tenir de concert un établissement hôtelier ! D’autant qu’il
affichait complet pour le w-e.
« Quelle foire pour les clients si jamais le bébé se met à
brailler à cause de ses dents » lui susurré-je ! Chez nous,
les bébés ne crient jamais quand ils font leurs dents ! , me
répliqua-t-il du tac au tac. Et, sans se faire prier, il me
dévoila son système « D » A la naissance d’un enfant, le
père se met en quête d’une taupe. Une fois repérée, il la
capture ( !) et il lui soustrait sa dent qui est cousue dans
une layette que le bébé porte en permanence sur lui. Cqfd !
La méthode, en pratique à Quérigut, doit être efficace car
je n’ai pas entendu le moindre pleur de toute la nuit.
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Cime de la Coma Morera (2205m) |
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Lac de Matemale - Station des Angles
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S’il ne fallait garder qu’un souvenir de l’étape n° 5, ce
serait la visite nocturne d’un compagnon inhabituel dans un
dortoir. A ma connaissance du moins. En ce vendredi
après-midi, la forte circulation routière qui régnait dans
la vallée du Carol m’incita à remettre au lendemain les
ascensions du Puymorens et de l’Envalira. Le gîte équestre
de Porta répondait parfaitement à mes convenances.
Idéalement situé au pied du col et, à proximité, un snack
pour la pitance du soir. Et, une fois de plus, le bâtiment
entier pour moi tout seul. En outre, il était gardé par deux
cerbères, en l’occurrence un husky et un énorme berger des
Pyrénées. Le reste de la journée s’écoula à glander en
attendant le dîner du soir et le repos du guerrier.
Au cœur de la nuit, je fus réveillé par un bruit familier
dont je devinai aussitôt l’origine. Celui que fait les
éperons d’un clebs quand il grimpe un escalier. Bref,
c’était le berger qui était tout simplement venu me tenir
compagnie et qui s’installait confortablement sur le lit
voisin où mes frusques se trouvaient étalées. En outre, deux
secondes plus tard, il me gratifiait d’un concert de soupirs
entrecoupés d’envolées de ronflements majestueux. Un
véritable toutou de rêve !
Au petit matin, comme je l’entendais descendre les
escaliers, je me dépêchai pour lui ouvrir la porte pour
qu’il allât se soulager dans la cour. Peine perdue, je
n’avais pas fait trois pas que le chien avait déjà forcé la
porte d’entrée d’un grand coup de museau. Signe
prémonitoire, je m’étais levé du mauvais pied.
S’il ne fallait garder qu’un souvenir de l’étape n° 6, ce
serait un sentiment de déception, de dépit, de déconvenue,
de désenchantement, de bide, de zéro pointé, d’échec, de
raté, de désillusion voire de trahison. En l’occurrence, mon
renoncement volontaire à arpenter les pentes du port
d’Envalira. Or, il faisait radieux, ce matin-là. Le soleil
irradiait la montagne et tout baignait dès les premières
pédalées. Le col de Puymorens, qui décrit des lacets
somptueux dès la sortie de Porté-Puymorens, m’avait tout à
fait conquis d’autant plus que la circulation y était pour
ainsi dire nulle. Tous les éléments se trouvaient réunis
pour faire de la randonnée un carton. Errare…En effet !
Ma bonne humeur et mon bel entrain fondirent comme neige au
soleil quand m’apparut, en contrebas du versant opposé,
l’interminable cortège de bagnoles, autocars, caravanes et
motards qui crapahutaient à l’assaut du Pas de la Case. Du
jamais vu de ma vie. J’avais oublié que nous étions un
samedi. Les Français se bousculaient pour faire leurs
emplettes « hors taxe » dans les ventas du Pas de la Case.
Une colonne sans fin, à côté de laquelle la caravane du Tour
de France aurait fait piètre figure, se hissait à un train
de sénateur dans un nuage d’oxyde de carbone. L’écharpe de
gaz, qui traînait sur l’Ariège, aurait anéanti un bataillon
de carabiniers-cyclistes.
Etant seul, à fortiori il ne faisait aucun pli que j’y
rendrais l’âme si je me lançais dans cette purée
empoisonnée. La mort dans l’âme, après quelques minutes
d’hésitation toutefois, j’optai pour le demi-tour à droite
qui chamboulait quelque peu mon itinéraire.
Après mûre réflexion, j’ai probablement fait une connerie.
Plus tard dans la journée, je suis parvenu à me consoler
dans l’air vivifiant du Coume Morera qui plafonne un rien
au-delà des 2200m.
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La Cerdagne : au coeur des Pyrénées catalanes
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S’il ne fallait garder qu’un souvenir de l’étape n° 7, ce
serait les époustouflantes échappées du versant méridional
du col de la Lhose. Un col dont j‘ignorais jusqu’à son
existence un mois plus tôt. Le retour à la végétation
méditerranéenne n’est certainement pas sans influencer ce
coup de cœur. Les jours précédents, une ribambelle de
panoramas plus somptueux les uns que les autres m’avait déjà
soûlé. Le Canigou, la montagne fétiche des Catalans, s’était
découvert sans retenue à mes yeux. Du haut du col de
Roque-Jalère, il m’avait ébloui par sa magnificence ; au
pied du col des Millères, c’est sa majesté qui m’écrasa. Les
épingles à cheveux du port de Pailhères et « l’altiplano »
de la cime du Coume Morera ont forcé mon admiration. Le
premier vous coupe le souffle et n’a rien à envier aux
grands cols suisses ; le second m’offrit un vaste diaporama
sur les Pyrénées espagnoles. L’aire de récréation au sommet
de la Chioula m’invita à la détente dans un cadre de toute
beauté. Mais il n’y a pas que les hauts lieux qui aient
droit de cité, les vallées ne manquent pas de charme non
plus. J’exclus néanmoins la merveilleuse combe de la
Cerdagne où la circulation est beaucoup trop dense à mon
goût. Sans parti pris, je lui préfère les sources de l’Aude,
voire la vallée fermée d’Aunat dans le Pays de Sault. Un
endroit paisible qui remonte la machine du temps. L’épicerie
est ouverte deux heures une matinée par semaine. Le
boulanger et le boucher se promènent d’un village à un
autre. Le pharmacien a élu domicile au diable près d’une
voie à grande circulation. Ça, c’est du réchauffé, je l’ai
déjà écrit !
Vernet-les-Bains
Par contre, il est une ombre
dans mon portrait chinois. Un lapsus impardonnable pour
l’auteur. Une honte ! Il n’y a pas la moindre allusion au
patrimoine historique de la région. Or, l’abbaye de St
Michel-en-Cuxa et le village perché de Mosset valent le coup
d’œil, voire une visite accompagnée d’une hôtesse patentée.
Quant à l’ancienne capitale de l’Alta Cerdanya, dont il
subsiste encore les remparts et la citadelle, elle n’est pas
parvenue à emballer ma curiosité. Je m’attendais à découvrir
un ouvrage d’art plus imposant, plus grandiose. Bref, un peu
plus de prestige pour un Vauban ! Mont-Louis m’a laissé sur
ma faim. Malgré tout, il n’y a pas photo entre ces
vénérables pierres et le béton de Font-Romeu. Qu’on se le
dise !
En résumé, s’il ne fallait garder qu’un souvenir du périple,
ce serait l’image épouvantable de ces autos collées les unes
aux autres dans l’ascension vers Andorre. Une cohue pire
qu’un jour de bourse au cœur de la capitale de l’Europe !
Assurément le remède infaillible pour dégoûter à jamais le
plus téméraire des cyclos. D’autre part, si c’est à ce prix
qu’il faut pour monter au ciel, je préfère m’en aller
pédaler en enfer.
Néanmoins, il m’est interdit de conclure sur une note
négative car si le randonneur a la bonne idée de tracer son
itinéraire qu’en fonction des routes blanches de la
Michelin, avec un rayon de soleil et un chouia de
prévoyance, je lui garantis que son escapade lui donnera un
avant-goût de paradis. Ça, c’est du garanti sur facture,
Arthur !
Eté 2002
bruffaertsjo@skynet.be
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