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Le "Pays basque" est une destination de rêve
pour les cyclogrimpeurs. Il n'y a qu'à ouvrir une carte du
sud-ouest pour se rendre compte de la pépinière de sommets qui
émaillent le paysage. Parmi les belvédères, l'Artzamendi
fait figure de géant. Il force le respect par ses
mensurations : 926m - max.22% - 10km. Bref, une redoutable
ascension en perspective !
Septembre 1993.
La montagne de l'ours (= l'Artzamendi) est un épouvantail
qui convient particulièrement aux adeptes du fort
pourcentage. Prudence, humilité, circonspection et
temporisation sont autant d'épithètes dont tiendra compte le
grimpeur averti. Les cyclos autochtones préfèrent d'ailleurs
le contourner. Pour ma part, cette éventualité était exclue
puisque que je l'avais pointé comme un de mes objectifs de
mon périple dans les Pyrénées Atlantiques.
La lecture de carte renseigne deux accès. La voie directe
est une route étroite qui s'échappe du village labourdin de
Itxassou qui se prélasse au bord de la Nive. Une légende de
Roland y est attachée. "Les armées de Charlemagne conduites
par Roland longeaient la Nive lorsqu'un rocher leur barra la
route. Roland se saisissant de son épée Durandal y ouvrit
une brèche qui permit à ses soldats de passer. Roland
laissa sur le rocher la trace de son pied."
Le chemin surplombe les berges de la Nive jusqu'à l'auberge
Ipharra et au Pas-de-Roland. Ensuite, il s'enfonce sous le
feuillage d'une colonie de châtaigniers en remontant le
cours d'un torrent capricieux.
Le second accès, qui virevolte et voltevire sur la carte,
enleva mes suffrages au moment de l'ébauche du parcours. Un
col supplémentaire à épingler est une aubaine sur laquelle
aucun chasseur de cols ne crache. Cependant, j'ignorais que
mon choix se portait sur un travail de Sisyphe.
Pic de l'Artzamendi
Espelette,
village réputé du Labourd pour ses piments. Les chapelets de
piments rouges qui contrastent avec le blanc des murs
chaulés des maisons donnent au village un aspect de douceur
et d'harmonie. En général, tous les villages basques sont
de véritables petits chefs-d'œuvre de couleur qui respectent
tous les accords et qui enchantent absolument tous les
touristes. A la sortie de l'agglomération en direction de
la départementale D249, un cyclo se hissa à ma hauteur.
Cinq bonnes minutes plus tard, mon compagnon me planta au
pied de mon épouvantail. Prenant à droite de la ferme, qui
est perchée sur une butte, et obliquant immédiatement à
gauche, j'entrais dans le vif du sujet. En effet !
La route s'élève brutalement jusqu'au col de Legarre
(349m). Sans répit. Ce type de redoute me plaît sur toute
la ligne. Au plus raide, au plus vite la montagne de l'ours
prendra place au tableau des trophées. Hélas…la vente de
la peau fut une opération remise à un peu plus tard. Une
déception m'attend au sommet du col. Une courte descente
démolit une première fois mon raisonnement. Mais très vite
ma moulinette reprend son cours. La route se love dans un
cadre très ouvert sur les flancs du Pic de Monderrain qui
est une éminence blottie à l'ombre du géant. Soudain une
vertigineuse descente balaie mon bel effort en me renvoyant
à la cote 150 sur la voie directe. Un véritable Trafalgar !
Dégoûté, écœuré, scié, j'entreprends toutefois de poursuivre
ma progression sans marquer un temps d'arrêt. Six bornes de
moulinette : voilà le plat de résistance affiché.
La route se hisse petit à petit dans une combe boisée qui
s'infiltre au cœur de la montagne. Le souffle court rend
mon coup de pédale moins fringant. La chaîne de la bécane
se tord de douleur ! A sa façon, bien sûr ! A chaque tour
de manivelle, elle émet un gémissement à fendre le cœur.
Un replat sympathique, exploité par une ferme dans les
moindres recoins, décompresse un instant les artères de ma
pompe. Et…de retrouver aussitôt une dernière fois le
murmure du torrent au détour d'un virage. Une fugue plus
que fugitive ! Je débouche dans un univers désertique où,
beaucoup plus haut, des installations de télécommunication
communient avec le gris du ciel.
Altitude 480m. Ultime
croisée des chemins. A droite, la route pour le gîte d'étape
"La Ferme d'Esteben", à gauche la direction du relais du
centre de télécommunication. Il reste 2750m à parcourir à
une moyenne supérieure de 16% avec des pointes entre 19 à
22%.Chauffe Charly !
Le chemin s'envole littéralement au ciel. Je roule au pas
comme Eddy. Quand il va au lit !
Au col Mehatche (719m) – soit à mi-parcours du dernier
tronçon - un faux plat me donne de l'air pour me concentrer
sur le jump final. La route ressemble à un patchwork
composé de bouses, de crottes et de crottin de pottock,
l'ensemble rehaussé, ça et là, d'une cocarde de choucas.
Mais d'un ours, aucune trace.
Le vent frais, qui caresse la crête de la montagne, glace la
sueur qui ruissèle sur mon visage. Mon maillot imbibé de
transpiration frigorifie mon échine. Je suis congelé.
Le relais apparaît dans toute sa splendeur. Observation
valable uniquement pour le crapahuteur, observation
incompréhensible pour un quelconque badaud ! Quelques
instants plus tard, je force l'enceinte du complexe. Deux
secondes plus tard, pas une de plus, un gardien fait son
apparition et me fait gentiment comprendre de vider les
lieux. Sur-le-champ ! Immédiatement et sans discussion.
Allez, allez ! Contraven… et pas de tra la la.
Comme je m'exécute de bon cœur, il me tire le portrait avec
les montagnes ibères en toile de fond.
Curieusement, la descente abrupte de la finale me paraît
plus spectaculaire que ne l'a été la montée.
Une volée d'étages plus bas, au col de Veaux. Un litron de
rouge et une demi-baguette fourrée de tomme à la ferme d'Esteben
mettent un point final à cette matinée mémorable. Bonne
adresse à retenir après une telle envolée. D'autant
appréciée qu’un ravitaillement venait à point nommé avant
l'ascension de l'Urzumu, le second sommet de la ronde.
En résumé, l'Artzamendi et le Mont
Ventoux se ressemblent comme deux frères jumeaux. C'est
donc un sommet à user avec modération
Septembre 1993
bruffaertsjo@skynet.be
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