|
Comme je l’ai mentionné à maintes reprises, un voyage n’est
jamais un autre. En plus, les déconvenues sont fâcheuses
quand les espérances ne répondent pas aux prospectives.
Ainsi, le Haut –Verdon, qui est un lieu magique, m’a laissé
cette fois sur ma faim. Donc, pas question d’en faire un
plat. La raison en est simple. S’il n’a pas répondu à
toutes mes attentes, c’est parce que tout simplement le
sublime des années antérieures a été gommé par la
répétition. Tout compte fait, une des meilleures façons de
découvrir les gorges du Verdon, c’est d’emprunter la « Route
des Crêtes » qui est une boucle de 23 km qui part et revient
à La Palud sur Verdon. Les nombreux belvédères et autres
points de vue donnent au touriste une fidèle représentation
du parc régional du Verdon. Maintenant, la grande boucle
autour des gorges qui compte près de 100 km, reste une
randonnée de toute beauté. Quoi qu’il en soit, les gorges
du Verdon ne se décrivent pas, on les découvre de visu ou
par un diaporama.
Le parc du Luberon émarge aussi en
demi-teintes. Ayant délibérément écarté de mon itinéraire
les villages hauts perchés auréolés de prestige, les autres
villages et hameaux sans le moindre grade reposent dans une
quiétude monacale. Si, d’une part, c’est un remontant pour
les gens stressés, pour les autres cela s’apparente à un
enterrement de première classe. Autre observation : les
boutiques et autres magasins sont la plupart du temps des
véritables joyaux restaurés avec le meilleur goût. Par
contre, si un besoin de s’élever vous prend, vous constatez
alors que les étages au-dessus de l’échoppe sont très
souvent restés à l’état d’origine c’est à dire aux limites
de la salubrité.
Le Cirque de Vaumale
Quant aux monts du Vaucluse et au « Pays d’Albion », il y a
peu de choses à raconter. Le Ventoux, tout le monde le
connaît. Une réflexion, toutefois !
Vingt-cinq ans plus tôt, j’avais découvert l’ascension du
mont chauve via Malaucène. Cinq ans plus tard, je bissais
l’ascension au départ de Bédoin.
Le seul versant, qui m’était inconnu, restait celui de
Sault. Donc, comme j’avais brûlé des étapes au cours de la
présente randonnée, il me fallait absolument tuer le temps
puisque mon arrivée n’était prévue que deux jours plus tard
à St Saturnin-les-Apt. Bivouaquant près de Sault,
re-grimper le Ventoux ne m’enchantait pas du tout.
Vingt-ans plus tôt, je m’étais juré de bannir au grand
jamais cette diabolique ascension. Par ailleurs, perdre mon
temps sur le plateau d’Albion ne m’inspirait pas des masses
non plus. Aussi dès lors pourquoi pas remettre en
question ma motivation de cent colliste ? Suis-je
aujourd’hui encore l’ombre de moi-même ou plus que l’ombre
de mon ombre ? Pour répondre à cette inconnue, une seule
façon de le savoir : prendre mon bâton de pèlerin et aller à
Canossa comme ce bon Henri IV. (A ne pas confondre avec
celui de la poule au pot !) Pour ma part, je suis allé à
Crevant ! Ma dernière lombaire, celle qui s’est fait
écrabouiller à Sestrières, se mit à brûler de tous les feux
de l’enfer. Dès le Chalet Reynard, elle me supplia de
mettre fin à ce calvaire. Pour soulager un peu mes
douleurs, je résolus de mettre mon esprit à la recherche
des stèles plantées à la mémoire des victimes du monstre.
Ceci dit, jusqu’au Chalet Reynard, le versant au départ de
Sault ressemble à une promenade de santé en comparaison
avec le chemin de croix venant de Bédoin. Le retour au
bercail via Flassan et N-D des Abeilles n’est pas un cadeau
non plus !
En résumé que retenir de ce périple sur les routes de la
lavande ?
Libre à vous de me croire ou non, mais c’est un fait
divers qui fut à la base d’une rumination. Une démarche
insolite, du moins dans le cadre du cyclotourisme. Elle
eut lieu en fin de randonnée. A moins de 5 km du but,
à St Saturnin-les-Apt, au bout de huit jours de route,
je fus témoin d’un haut fait dont je ne soupçonnais pas
qu’il puisse exister.
J’avais réduit la dernière étape à la seule ascension
du col de la Liguière. Une montée qui, du côté de
Sault, s’apparente plus à un faux plat qu’à un col.
Rien de commun avec le versant opposé qui est du style
plutôt raidard.
J’arrive à St Saturnin à l’heure de table. Il fait très
chaud. Comme on ne m’attend qu’en fin d’après-midi, me
voilà dans l’obligation de lanterner. Je m’installe
sous la tonnelle de "L’Estrade" qui propose une formule
qui a l’heur de me plaire. N’étant pas gourmand, ni
gourmet, de maigres rogatons me suffisent pour faire
ripaille à condition qu’ils soient arrosés. Je fais
confiance à un petit rosé bien frais du pays pour les
faire descendre. Deux tables plus loin, cinq cyclos
festoient au vu des cadavres qui jonchent sur les
tables. Trois hommes et deux femmes. Tous sont tirés à
quatre épingles en look cyclo du plus bel effet. Hormis
une touche originale. C’est à dire le bonnet à la Bob
Marley, aux couleurs jamaïcaines, qu’arbore l’un des
commensaux. Ça cause le verbe haut. Et ça cause dans
la langue de Shakespeare. Après un bref coup d’œil à
leurs vélos, je constate qu’ils sont tous pareils munis
d’un sac de guidon et d’une feuille de route sous
plastique. L’ensemble est nickel, sans éclaboussure ni
poussière. Ma randonneuse, équipée de ses besaces
fatiguées, détonne parmi ce beau monde. Trop content de
siroter mon rosé, ces détails me glissent néanmoins sur
le cuir de mon crâne. Je me prélasse. Rien ne peut
troubler ma méridienne.
Tout à coup survient un jeune homme en tenue de ville
tenant dans une main un cubitainer d’eau et dans l’autre
une substance énergétique. Et voilà qu’il se met à
remplir les bidons de tous les vélos. Sauf le mien,
bien entendu ! Mes voisins ne lui adressent pas un
regard. Quant à mes mirettes, elles ne se dé-scotchent
pas du quidam.
Quelques minutes par après, il réapparaît mais cette
fois en tenue cyclo. Aussi bien nippé que les autres.
En deux mots, il m’apprend que mes voisins sont
d’origine australienne. Qu’ils ont acheté dans le
Luberon une randonnée « clé sur porte ». Qu’il est
responsable de la logistique et de l’intendance. C’est
à dire qu’il orchestre la réservation des hôtels,
l’acheminement des bagages, les visites des sites, les
réparations éventuelles et tout ce qui concerne de près
ou de loin la bonne fin de la randonnée. Bref, il n’y a
qu’à pédaler et encore ! Il n’y a pas de voiture
suiveuse mais une navette récupère aussitôt le
participant à la moindre défaillance. Les imprévus sont
balayés, les ennuis écartés et les aléas sont bannis
puisque le programme est réglé comme du papier à
musique. Sont-ils pris en charge lorsque le temps se
met à la pluie ? Je n’ai pas poussé mes consultations
jusque là !
|
Quoi qu’il en soit…
Serait-ce l’avenir du voyage itinérant à vélo ? En tous
cas, c’est incontestablement la formule idéale pour les
adeptes du moindre effort cérébral ! Elle plaît, ça ne
fait pas l’ombre d’un doute !
Mais alors… Que devient dans tout ça le plaisir de la
préparation de l’itinéraire ? Que deviennent les
surprises et les charmes de la découverte ? Que devient
la satisfaction de se déplacer en toute autonomie ?
Quid les initiatives ? Quid le bonheur de la réussite ?
Quid le contact humain ? Etc....
Si la survie du voyage itinérant à vélo
est à ce prix, je m’empresse de conclure par un sonnet
fort connu mais trop souvent mal interprété puisque le
poète y fait l’éloge du retour et non du départ :
« Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme celui-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d’usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge ! »
Toutefois, comme je ne compte pas baisser pavillon
d’ici tôt, les « REGRETS » n’ont toujours pas
cours dans mon chef !
Printemps 2006
bruffaertsjo@skynet.be
|
|