Tous les chemins mènent au Sanetsch
Mercredi
13 août 2008.
Mon centième col au-delà de 2000 m se devait de faire
partie du nombre des passages mythiques. De ceux qui
forcent le respect. Aussi, était-il important de mettre
tous les augures de mon côté. A commencer par choisir
judicieusement le mercredi, jour de Mercure, dieu des
voyages de la Rome Antique. Il se posera comme ze most
bioutifoule day of my Suisside. Tout ne se
passe-t-il pas avant tout dans la tête, dixit un collègue ?
Les jours précédents avaient été mis à profit pour affiner
la condition par des ascensions courtes mais très dures
telles que le col de Jaman, le col des Mosses et de la
Croix, le Pas de Morgins, les stations d’Ovronnaz et de
Crans-Montana, le barrage de Tseuzier et le magnifique col
des Planches du Mont-Chemin qui fait l’objet d’un récit
séparé.
7h30 du mat. Pont de la Morge (502m), au pied de
l’épouvantail. Courte hésitation quant à la direction, bien
vite rectifiée toutefois grâce à une bonne âme qui m’envoie
crapahuter sur les flancs des premiers contreforts envahis
par les vignobles produisant Fendant, Dôle et Muscat. A
trop tutoyer Bacchus… Aïe, aïe ! Mais comme le vin est
tiré, je m’en vais quand même le boire tout mon soûl. A
vôtre santé !, cheers !, gezondheid !, prosit !, skoal !,
salud !, ja zia sano !, salute !, saude !, mazel tov !,
tchin-tchin ! en espérant vivement que tous ces vache
zdorovie ne me plombent pas les gambettes !
Tout à coup, un cyclo se hisse à ma hauteur. Le salut
d’usage permet d’embrayer sur une courte présentation. Son
« Concorde » et l’inscription sur la visière de sa casquette
attestent de l’AOC identique à la mienne. Mon compère
retapissé, la conversation peut s’engager alors que la
pente, raide comme une trique, gagne plus de 300 mètres de
dénivelée en moins de 5 bornes. Ce faisant, je jette un
coup d’œil à ses développements arrières et constate qu’il
possède de la réserve. Par contre, je suis déjà coincé à
l’extrême gauche de mon braquet d’asthmatique.
« Ne m’attendez pas » lui lancé-je ! Mais mon compagnon,
placide comme jadis Saint Paul sur la route de Damas, n’a
pas envie de me lâcher car la grâce divine vient de le
toucher et le convertit en un saint-bernard. Et si j’en
crois la rumeur publique, « Saint Bernard fait mûrir les
grains en retard ». Hou pie ! Encore un augure faste !
A la sortie de Chandolin (832m), mon coéquipier de
circonstance me devance dans mes routines. L’image réfléchie
par ses lunettes me renvoie l’index de sa dextre. Daniel
extirpe un bic et un carnet de son sac de guidon et prend
des notes. Sur sa lancée, il me confesse qu’il a déjà
reconnu les gorges sinueuses et qu’une partie de roue libre
d’un bon kilomètre va nous permettre de souffler jusqu’à
proximité du Pont du Diable (905m) d’où la route s’élève
sans plus aucun répit. Le froid se fait plus vif. Le
spectacle de la haute montagne continue de l’émerveiller.
L’arche de pierres taillées rappelle qu’autrefois les
Saviésans avaient bravé leurs peurs ancestrales pour
domestiquer la montagne hostile. Ce vieux pont fut, tout au
long des siècles, le théâtre des plus abominables crimes
mais aussi le témoin muet de célébrations et de rituels
inavouables. Légende ou intox ? Quoi qu’il en soit, au
diable le superbe bouc blanc, les sortilèges et les autres
sornettes puisque nous franchissons l’abîme une dizaine de
mètres en contrebas du pont maudit ! Voilà un augure tout
en notre faveur !
Croisement Daillon – Sanetsch (1180m). Rebelote ! Daniel,
à ne pas confondre avec notre Presi-Dan, s’empresse de
griffonner des notes. Pris de vitesse, mon carnet reste
enfoui au plus profond de mon sac de guidon. « Il
m’énerve ! Comment vais-je m’y retrouver pour coucher sur
papier ce morceau d’anthologie ? »
Très peu de circulation en ce début de matinée. Quelques
rares nuages viennent troubler la quiétude du bleu du ciel.
L’allure ascensionnelle se stabilise entre les 6 et 7 km/h
sur ce tronçon de route où la pente évolue constamment entre
les 7 et 10% de déclivité.
Daniel, qui apprécie religieusement le paysage, tombe en
admiration devant l’Hôtel du Beau Site. Le chalet arbore
une kyrielle de drapeaux et de fanions, des jardinières de
géraniums rouge sang et des corbeilles de pétunias. Mais
c’est sur la gigantesque bouteille en fronton de la terrasse
que nos regards se scotchent.
(Très
important ! Par quoi
d’autre voulez-vous que je sois obnubilé ?)
En dessous de l’étiquette, qui représente un écureuil se
régalant d’une fondue, sont aussi renseignées les distances
de 15 km tant pour Sion que pour le col du Sanetsch. Le
sapin est omniprésent à cette altitude. Il nous reste
quelque mille mètres de dénivelée jusqu’au sommet. Bien
qu’un cyclone nous dépasse à fond la caisse, nous ne
réagissons ni l’un ni l’autre puisque notre arrivée au
sommet n’est planifiée que pour l’heure du midi. En
principe, la journée est consacrée à cette seule
ascension ! Why, sheila explose for peanuts ?
Daniel, de par sa nature calme et posée, me fait songer à
mon ancien compagnon de route Frans. C’est sans se péter
les varices que nous parvenons ainsi au croisement de la
Dzou (1437m) où une fontaine en trompe-l’oeil est dressée à
côté d’une buvette.
Sous l’oeil narquois de trois donzelles, nous puisons dans
nos sacs les glucides nécessaires à la poursuite de notre
objectif. A quelques mètres de là, la Morge dévale la
montagne dans un bruit assourdissant. La zone boisée se
fait plus clairsemée.
Après les Mayens de Visse (1590m), nous suivons à la trace
les transhumances des Valaisans sans croiser ni apercevoir
la moindre reine qui règne sur ce haut paysage alpin.
Soudain, une série de 4 lacets très serrés nous fait
traverser un torrent et nous quittons définitivement la
forêt de sapins. A partir de là, la pente s’accentue de
plus belle. Qu’à cela ne tienne, Daniel grimpe encore et
toujours au septième ciel. Il jouit du temps présent bien
qu’il se frictionne de temps en temps les lombaires.
Il faut compter environ 5 kilomètres après le hameau de
Visse avant de se présenter devant le tunnel (1960m) ce qui
représente une pente moyenne de l’ordre de 7.4%.
Place
aux niouzes !
Dorénavant plus de problème dans le tunnel des Fonjales dont
l’obscurité quasi-totale de certaines zones en faisait un
véritable casse-pipe. Maintenant, il est éclairé
automatiquement grâce à l’énergie produite par 4 panneaux
photovoltaïques qui sont visibles depuis la route du col.
Des détecteurs réagissent dès la présence d’une auto ou d’un
être humain.
Malgré la belle technologie suisse, dès l’entrée du tunnel
d’en Bas, j’enclenche quand même la lampe de poche que m’a
prêté Dominique. Sa B.A ne nous a pas empêché de mettre
pied à terre et de nous coller à la paroi dès que nous avons
vu pointer sur nous une paire de gros yeux aveuglants. Le
revêtement, bien que passable dans l’ensemble, se dégrade en
vue du tunnel d’en Haut où la mauvaise qualité de la roche
laisse filtrer de l’eau en continuité ce qui provoque de
nombreux nids de poules.
Dès la sortie du tunnel, le vent, qui descend du col, se
fait plus sensible. De la route du col, aucune activité
apparente visible à l’hôtel du Tsanfleuron, le repère que
nous avions en point de mire depuis belle lurette. Le
glacier du même nom s’expose dans toute sa majesté à nos
yeux. D’après les indications recueillies au chalet du Beau
Site, il resterait en principe un peu plus de 5 kilomètres.
Or, bien vite, nous avons la nette impression que notre
ascension tire à sa fin. Effectivement, nos compteurs n’en
totalisent que treize au sommet. Soit un bonus de 2
kilomètres par rapport aux indications reprises sur la
bouteille de la « Mère Boum » du Beau Site.
Tous deux, l’oeil vif et alerte, nous nous réfugions dans un
abribus qui fait office de refuge pour endosser une petite
laine et un coupe-vent.
Il est 11h30. Bien au chaud, place à la séance photo. En
contrebas de l’arrêt du car postal, un parking atteste de la
fréquentation des lieux. Derrière nous, un groupe de gardes
alpins se relayent pour observer les falaises du Tsanfleuron
où nichent gypaètes, lagopèdes et pourquoi pas un yéti en
vélocipède pendant que j’y suis ?
De commun accord, nous décidons de faire l’impasse sur le
barrage qui se trouve à 5 bornes sur le versant opposé du
col. Un coup d’œil depuis la butte suffit pour satisfaire
notre curiosité. La dénivellation gratos, c’est plus de mon
âge !
Mon premier soin est de me transformer aussitôt en arbre de
Noël. Je me colle des bandes réfléchissantes partout. Rien
à signaler, la descente est cool et nous l’entrecoupons par
de fréquentes séances photos.
Arrêt casse-croûte à la terrasse de la buvette au croisement
de la Dzou où j’entreprends de convaincre mon coéquipier
d’échappée de venir grossir les rangs du BIG puisque pour le
peu qu’il m’ait raconté, il compterait de nombreux cols durs
à son actif. Il sera des nôtres à la soirée raclette, le
lendemain soir. Voilà déjà un bon point !
A la cote 1180, nous poursuivons sur Daillon et Premploz.
Une belle descente qui peut se faire à tombeau ouvert. Mais
que nous ne faisons pas. Parce que mes freins sont
fatigués. Ils flirtent à la limite de la rupture. Or, comme
seule sécu, je n’ai que ma qualité de cascadeur givré à la
retraite.
Voilà qu’un cyclo nous dépasse à fond de balle mais qui
prend temps de me flasher au passage. Il s’arrête quelques
mètres plus bas. Automatiquement, je serre davantage les
manettes des freins et l’apostrophe sur un ton digne de la
plus haute tradition bruksellère. En un quart de tour, il
décline MON identité au grand complet à la
grande surprise de Daniel qui me chuchote dans l’oreille :
« Tu le connais ? ».
« Non », mais sa tête ne m’est pas tout à fait inconnue.
Axel Jansen par contre, lui me connaît par le biais de la
revue de la fédération belge de cyclotourisme. Or, comme il
fait aussi partie du BIG, il s’est farci le Sanetsch et nous
a croisé pendant que nous devisions gentiment à la terrasse
de la buvette de l’auberge de Tsanfleuron. Lui aussi est
venu spécialement au carrefour BIG à Sion.
Bon sang mais c’est bien sûr ! Sans son casque, Axel
ressemble comme deux gouttes d’eau à notre vice-premier
Didier Reynders ! C’est à lui d’ailleurs que je dois le
titre de cette chronique. A Axel bien sûr, pas au vice !
Petit casting comme de bien entendu. Avec les vignobles de
Chandolin en toile de fond.
Et puis, ce n’est qu’un au revoir puisque le lendemain, nous
serons à nouveau tous réunis à la soirée raclette.
Un mois plus tard, jour pour jour. Je m’offrais la
cerisette sur le Sanetsch en épinglant à mon palmarès une
altitude inversement proportionnelle au géant des
Alpes bernoises c'est-à-dire deux
mille cinq cents centimètres sous le niveau de la mer.
Moralité ! Un rien me fait planer.
Août 2008
Nota Bene
Une
petite question peut-être? De toi, toi l’irréductible
verbeux qui s’est tapé de A à Z mon ramassis de
carabistouilles sanetschéennes !
« Fichtre ! Où est-il allé pêcher sa prose puisqu’il a fait
l’impasse sur ses notes ? »
Réponse
de l’auteur :
« Passe, pépère et manque ! Sorry ! Passe-moi ce tour de
passe –passe ! »
Distance : 26 km
Dénivellation : 1750 m
Moyenne ascensionnelle : 6 à 7 km/h
*BIG : Brevet International du Grimpeur
*CCC : Club des Cent Cols
bruffaertsjo@skynet.be
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