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Balade au royaume du mélèze
Dans tout, il y a ceux qui ont la cote et les losers qui
sont à la bourre. Itou pour les cols. Il y a les mythiques
et les médiatiques. Les événementiels et les
confidentiels. Il y a aussi les chers obscurs, inconnus au
bataillon des couraillons. C’est le cas d’une trilogie
exceptionnelle composée des cols des Planches, du Tronc et
du Lein. Dominant les cités valaisannes de Martigny et de
Saxon, ces cols de crête, qui abritent la plus belle forêt
de mélèzes d’Europe, sont un véritable exutoire pour les
citadins quand la plaine brûle sous juillet et août. C'est
par dizaines que les pique-niqueurs, marcheurs, promeneurs,
automobilistes convergent vers les pâturages boisés du
Mont-Chemin et l’aire de pique-nique du col du Lein. Dès
10h. du mat, les Octoduriens affluent en ces lieux et s’y
prélassent toute la journée. Des tentes sont dressées autour
de tables et de bancs taillés dans les troncs. Il existe
même des barbecues et un bloc sanitaire mis à la disposition
des visiteurs. Tout le tutti pour le farniente, quoi !
En cette matinée dominicale du 10 août, j’assistai ainsi au
lever d’une colonie de jeunes campeurs. Pour accéder à ce
lieu de rêve, il existe quatre itinéraires dont le plus
fréquenté démarre de Martigny via Chemin-Dessus, le col des
Planches et le col du Tronc. Quelque quinze kilomètres
séparent le col du Lein de la métropole valaisanne. Très
vite au-delà du col des Planches, la route se transforme en
une piste forestière. T’inquiète, impec du point de vue
carrossable ! Le col du Lein fait également la jonction
entre Vollèges et Saxon et offre des belles vues sur le Val
de Bagnes. A proximité, l’on trouve un restaurant d’alpage
proposant sa cuisine avec des produits régionaux mis en
vente à la boutique. L’on peut déjeuner sur la terrasse aux
sons des cloches des Hérens pâturant à proximité dans les
alpages. Cette particularité n’est pas le propre du seul
col du Lein. Les buvettes font leur apparition dès la
proximité du col des Planches. C’est le moment de porter
les plaisirs épicuriens à leur apogée. Nunc est bibendum !
En décrypté pour les unilingues unilinguistes, le père
Horace aurait fredonné dans la langue de notre Virgile
bruxellois :
Chef un p’tit verre on a soif,
chef un p’tit verre on a soif,
une p’tite bière on a soif,
on a soif, on a soif…
Toernee general, geif ons nog iene ! (Tournée générale,
à boire !)
Waile goên er ‘n zatteprosesse van moêke. (On va faire
la tournée des grands ducs)
Mais avant de sombrer corps et âme dans la douce Williamine
(noble Suissesse oblige) servie sur un lit de glace pilée,
je m’étais appliqué auparavant à faire rougir le trente
dents.
8h. du mat. Les « Dominique » me dropent à Martigny-Bourg
au pied du mur des Planches. Leurs sourires discrets
préfacent une entourloupe. Pftt ! Les risettes glissent
sur le cuir de mon crâne. Je suis confiant car, en ce jour
du seigneur, je sais que celui-ci ne me laissera pas tomber.
Peut-être puis-je même espérer que mon état de grâce lui
inspirât* de distiller mes vapeurs acidulées corporelles en
une douce liqueur octodurienne ! Pourquoi pas ?
Personnellement, je ne vois pas la différence entre changer
de l’eau en vin ou de la sueur en eau-de-vie. La recette
doit être identique dans les deux cas ! Comme quoi, un
agnostique ne perd jamais tout à fait la foi !
Huit jours plus tôt, mes coreligionnaires avaient étrenné
ce raidard et l’avaient trouvé aussi pentu que le Jaman. Un
épouvantail sur les hauteurs de Montreux qui affiche une
finale démentielle. Ici, c’est du pareil au même excepté que
c’est au début qu’on grimpe au ciel. Les trois premiers
kilomètres à 10% et plus de moyenne, les trois suivants de
même facture et ainsi de suite jusqu’au sommet du col. Mais
là n’est pas le but de ce papier puisque toutes les routes
de la vallée du Rhône qui s’échappent vers la montagne
épousent la même courbe. Sauf une petite nuance. En amont
de Martigny, les premiers lacets, qui se faufilent entre les
vignobles, sont plus serrés que ceux des Planches et ceux de
son vis-à-vis « la Forclaz ».
Non ! Le grand intérêt de ces trois cols en enfilade,
c’est que m’y suis retrouvé en royale compagnie. Rien que
ça ! Comme j’arrive au col du Lein, me voilà accueilli par
une petite centaine de belles Noires. Des Noires couleur
corbeau, des Black Beauties, des Noires d’ébène, des Belles
ténébreuses, des Cordon Negro, des Bianconero juvéniles et
des Brunettes, toutes plus exquises les unes que les autres
aux yeux noir charbon. Des « canons » comme je n’en avais
jamais vu. Imposantes. Altières. Hautaines au regard
impassible, l’immense poitrail au vent et la croupe
callipyge. Avec, quand même, une nette tendance à la
stéatopygie**. Des chutes de reins à damner un régiment de
taureaux car les jouvencelles se dandinaient au rythme d’une
cacophonie de sonnailles digne d’un Strindberg dodécaphonisé.
Et pour couronner le tableau, impossible de rester
insensible au dégagement de leur parfum champêtre.
Hélas ! Il me sera refusé de déposer mes hommages au pied
de sa majesté « Fercle ». La reine, qui depuis le début de
l’estive règne sans partage sur ce troupeau d’une petite
centaine de têtes. Eh oui ! Sans le savoir, mon ascension
s’est échouée au lieu de l’inalpe c'est-à-dire à l’endroit
où les éleveurs conduisent leurs vaches pour y passer les
100 jours d’alpage. C’est également ici qu’a eu lieu le 7
juin le concours annuel qui a rassemblé environ 80 vaches
d’Hérens qui se sont affrontées entre elles pour le titre de
Reine d’alpage. Comme « Fercle » fut sacrée la big gagnante,
il lui revient d’emmener, matin et après-midi après la
traite, ses congénères rejoindre leur parc. Ce titre de
gloire de « Reine » ne sera cependant définitivement acquis
qu’au terme de la désalpe qui aura lieu le 20 septembre.
Il va de soi que toutes ces beautés pur jus sont en
permanence sous haute surveillance de gardes-chiourme.
Hélas ! Toute surprise n’a qu’un temps. Aussi, à la
différence des promeneurs qui installaient leurs quartiers
pour la journée, dus-je me résoudre à prendre mes claques
sans la clique *** et filer à fond de balle dans la vallée
du Rhône, la même que j’avais quittée deux heures plus tôt.
Tiens donc ! Où ai-je encore lu qu’un col est un passage
d’une vallée à une autre ? Il est vrai que 3 cols en
enfilade offrent un tout autre son de cloche.
Terrain glissant, n’est-ce pas ! P’t’être bin que oui !
P’t’être bin que non !
Par conséquent, avant que l’un d’entre vous se mettent à me
sonner les cloches, je préfère vous tirer ma révérence.
Août
2008
* Hélas, je l’ai eu dans le baba !
** Voilà un mot savant que je vous laisse découvrir dans
le Petit Larousse.
*** D’accord ! Le jeu de mots est facile mais que j’allais
quand même pas le passer sous silence pour
vos beaux yeux !
bruffaertsjo@skynet.be
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