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Le Pas de Peyrol
Autrefois…
C’était
l’époque héroïque du vélo. La chasse effrénée aux côtes,
aux cols et aux monts. La course à l’échalote. La ruée aux
brevets. La foire aux tampons humides, la farce des
cachets.
Fin juillet 1990, Bernard, le président de l’ACMF, m’envoie
une carte vue. Un paysage sublime ! Un site exceptionnel
qui interpelle et qui me souffle : « Voilà un endroit fait
sur mesure pour t’éclater, m’fi !». Bref, la machine à
rêver se met en branle.
Deux ans plus tard. Un train de nuit me droppe en gare de
Brive-la-Gaillarde. Ma première étape, via le bourg
médiéval de Salers, me conduit après plus de 150 bornes à
Mandailles, à la « Fin du Monde ». Pour votre gouverne,
sachez que naguère la route pour le Puy Mary s’arrêtait là.
Pourquoi cet itinéraire tordu alors que la voie directe
s’échappe vers le col de Néronne ? Elémentaire, mon cher !
Le parcours épingle 5 cols au lieu d’une unité et
l’ascension via le col du Redondet est la seule qui se
termine par une rampe douce.
Voilà le pourquoi ! OK ! Next, place au texte !
Aussi, bien que le Cantal frissonnât le lendemain sous un
ciel chagrin, le Pas de Peyrol rejoignait le panthéon de mes
ascensions cyclistes.
Vingt ans plus
tard.
Dominique, mon
alter ego, que je proclame secrétaire éternel de
l’association des Monts de France – Il n’y a pas de
raison que l’Académie française soit la seule à nommer des
« Eternels » - se dépense sans compter pour que sa miss
dominici soit la première lauréate du challenge. Ils
mettent les bouchées doubles et ils se présentent à Salers
au printemps.
Ah, non ! «Allez vous faire voir en Valonnie, mes
petiots !» rétorque Bianca Natura en elle-même et elle
renvoie mon héros et sa dulcinée à la case départ.
Mais, pour
Dominique, pas question d’en rester à ce que sont devenus
les neiges d’antan ? Lui, il vit la ballade de la dame au
temps présent !
Notre « Eternel »
organise illico une table ronde à Salers pour l’automne
suivant. Beaucoup d’appelés, peu de candidats présents.
Comme toujours. Qu’importe la quantité quand la qualité y
est !
Dans le désordre, relevons la présence de Claude, le
régional de l’étape, l’ex-président du Club des Cent Cols
dont la notoriété n’est plus à faire.
Le second de liste se prénomme Martial. L’œil pétillant, la
langue déliée, le sourire omniprésent, le Perpignanais
chasse tous les lièvres imaginables présents et à venir.
Les monts, les cols, les flèches et il possède même à son
palmarès une neuvaine exceptionnelle, une « c(o)uvée »
espéciale qui ne s’acquiert qu’après beaucoup de doigté et
de nombreux lustres.
Ceusses qui trouvent la feinte auront droit à un coup de
rouge au pied du Mont Tauch offert gracieusement par
Martial en personne !
« O tempora, ô mores - O tempora, ô tampax - Pax perpignana ! »
Jean-Luc, tout le
contraire du personnage précédent, pédale sans faire de pet,
en sourdine et sans musique. Grimpe honnêtement et dévale à
fond la caisse. Taiseux, l’œil vif, le Carolo caracole parmi
les meilleurs du BIG et se place en ordre utile dans les
Monts de France. Voilà un jeune quinqua qui risque de faire
du chemin ! De plus, il a un atout indéniable en la
personne de Fabienne. Elle est la seule pédibus qui
chase*¹
un thriller pendant que son homme chasse le BIG.
Stop à la présentation, je m’accorde une petite trêve.
La veille du grand jour, les missi dominici bissent, voire
trissent la grimpette de Montpensier. Un peu plus tard, de
concert, ils se dégourdissent les gambettes dans la Banne d’Ordanche.
Rien que pour le fun ! Pour Me faire
plaisir ! Tu parles, Charles ! Il s’en est fallu d’un poil
pour que, sous un soleil torride, je me paie une retraite à
l’abbaye de Monte à Regret. En cette fin de saison, des
baigneurs batifolaient encore dans la mare de la Banne !
En somme, un jour faste et un De Profundis radieux !
De là, nous
migrons vers le gîte du Col de Legal où le secrétaire
établit son PC. Les versants de la montagne sont déclinés à
tous les verts. Ça sent bon la fourme du Cantal qui exhale
ses parfums d’estive. Dominique s’affaire et met au point
la stratégie du lendemain. Tous les détails sont réglés
comme du papier à musique. Bref, que dire de plus ! Il
fait bon, il fait chaud, ça sent bon l’échafaud. Pour le
plumitif, of course !
Enfin ! Nous
voilà au pied au pied du géant cantalou. Le Puy Mary.
Tirant les enseignements du martyre enduré le jour
précédent, il importait absolument de modifier la ligne de
tir si je tenais à garder un relent de ma superbe. Aussi, à
défaut de jambes, je fais appel à mon caberlot ! Et voilà
que La Fontaine me rappelle à son bon
souvenir :
" C’est le cas du kamikaze
C’est l’abc du condamné
Le légionnaire qui veut l’avantage des voyages
Sans s’engager…
Même si l’affaire n’est pas sûre
Ne pas s’enfuir
Ne pas s’en faire. "
Holà !
Philippe ! Doucement les basses !
Arrête, arrête, ne me douche pas
Je t’en supplie ai pitié de moi
Eh ! Oh ! J’t‘ai
pas sonné, ni Patricia d’ailleurs ! C’est au Jean de
Château-Thierry que je fais allusion. Sa formule « Rien
ne sert de courir, il faut partir à temps » me
plaît davantage et présente un triple boni :
1° je garde la tête haute et mes illusions
2° j’élucubre tout au long de l’ascension
3° je fixe au sommet la bouille des participants pour
l’éternité.
Après cette
escalade de « je », il n’y a plus photo pour situer
le chroniqueur. Scieur en long, scieur en large, scieur en
travers, scieur de haut en bas (notez bien que
l’intéressé n’a pas encore l’audace de défier les lois de la
gravité), scieur tout court, il tartine à bout de
souffle, à tous vents. Sornettes, carabistouilles, vers à
taire, il passe toutes les calembredaines à la moulinette.
Écrivaillon à tirage inexistant, sa philosophie est axée sur
le posthume. Il n'écrit que pour le plaisir d'admirer ses
propres pattes de mouche. Peu lui importe que ses extravagances
pseudo sportives soient reconnues par ses voisins! Si elles
le sont, tant mieux! Sinon, tant pis! Aussi, soyez
charitables et n'assassinez pas le pisse-copie avant terme!
Joinville et Commynes sont passés à la postérité, lui, il a
le postérieur irrité. Où est le rapport ? La
selle San Marco de son "Hirondelle" est moins appropriée
pour asseoir les idées que celle des haridelles des
chroniqueurs. Avouez qu'il y a de la marge !
Tandis que certains fourbissent leur monture, je fausse
compagnie et je pars en éclaireur en direction du col de
Néronne. La pente régulière, sans un à-coup, prend de la
hauteur ce qui me permet de contempler non stop toute une
variété de paysages: verts pâturages, sombres forêts
profondes et chaîne de monts aux croupes arrondies par les
vents. Le parcours est jalonné de vedettes cantaliennes, à
savoir les vaches laitières rouge brune.
A Néronne,
changement de topo. La montée facile se métamorphose
carrément en faux plat et descend même sur près de trois
bornes avant de retrouver la vallée de Falgoux. Un
intermède agréable qui se fait sous le couvert de chênaies.
Après cette cure de santé, le cyclo entre dans le vif du
sujet. En prélude, encore un sursis de trois kilomètres à
un pourcentage décent. Le temps d’examiner que la montagne
se redresse comme une citadelle imprenable. Ensuite, à
partir du pont, la finale grimpe au ciel. Des passages
dépassent les 15% garantis.
Mon départ précipité m’épargne de me mettre dans le rouge.
Aussi suis-je le premier à pointer au sommet du Pas de
Peyrol, le col routier le plus haut du Massif Central !
Dieu que ça fait du bien de faire la course en tête !
A’s’t’heure, j’en ai encore une larme à l’œil ! Un horizon
immense, battu par les vents et hérissé de crêtes râpées,
s’étale à mes pieds. Nourris par les eaux de la terre, des
ruisseaux quittent le cœur du volcan en étoile et se fraient
un chemin à travers les coulées de basalte pour creuser les
différentes vallées de Falgoux, Cheylade, Maronne et
Mandailles. Avouez quand même que je cause bien quand je
m’applique un brin !
Ce carrefour est
le point de rendez-vous obligé du Cantal. Des « Ancêtres »
se hissent au col dans un concert de pétarade, les badauds
crapahutent sur les escaliers du Puy Mary, des cyclos
surgissent de par les trois accès. Les uns font la file au
cabinet d’aisances, d’autres s’engouffrent dans le
« bar-tabac souvenirs ». Bref, y’ a du monde au balcon.
Sur ces
entrefaites, je perçois une voix qui me hèle. Ne voilà t’il
pas que Martial me sourit de toutes ses dents ! Mais, par
où donc est-il monté, ce diable ? Ses bielles pètent donc
la santé tout comme son discours ! Il n’y a pas de doute,
le Perpignanais respire la jeunesse personnifiée.
Ensuite, c’est Claude qui se présente au sommet. Jean-Luc
n’est pas bien loin suivi à la pédale par la jubilaire, tout
de noir vêtu en ce jour de noce.*²
Le secrétaire des Monts de France, qui cumule aussi le titre
de président d’honneur du BIG, ferme la marche à deux
longueurs. Je subodore que c’est pour des raisons de
sympathie parce que je vous assure que je n’ai jamais eu
droit personnellement à ce régime de faveur. Je ne suis pas
prêt de lui pardonner son coup de bluff à la Abdoujaparov au
sommet du Menez Hom !
A propos, il est
temps de présenter les « Missi dominici ». Dominique
(♂)
est au bas mot triple lauréat et sa moitié, Dominique
(♀)
devient la première féminine à boucler le challenge des
Monts de France. Un beau cadeau d’anniversaire qu’elle
s’offre pour la saint-Faust. Caresserait-elle le rêve de
défier l’inaccessible montagne pour l’éternité, comme le lui
propose Méphistophélès ? Allez savoir !
« L’Eternel »,
c’est mon copain. C’est le meilleur ! Avec lui, je rentre
toujours gagnant. L’aventure fleure toujours bon, même
quand le lisier dégouline de nos basques ! Aussi n’en
dirais-je pas plus ! Point ! Tu veux ou tu veux pas, c’est
kif-kif !
J’n’y peux rien, faut bien que j’étrenne ma nouvelle brosse
à reluire !
Quant à la Miss dominici, la mitan de mon autre moi, elle
partage depuis 6 ans déjà les frasques de son compagnon.
Quel couple ! J’ai rarement rencontré une association
sportive aussi harmonieuse. Leur synchronisme et leur
souplesse de pédalage m’éblouissent. Quel délice pour les
yeux quand le regard suit la délicate rotation des chevilles
des intéressés ! C’est quasi musical, mes loutes.
Fascinant ! Chavirant !
Photo de groupe.
Ensuite, poursuite gratuite pour le retour à la case Salers.
Là, Dominique squatte le premier muret venu pour sabrer le
champagne et ce, en l’honneur de la jubilaire et nouvelle
lauréate des Monts de France.
Comme d’hab, la table ronde des MdF s’apothéose en une
fiesta dans la cité qui affiche un décor de cape et d’épée :
belles demeures « Renaissance » flanquées de tourelles à
toits de lauze, maisons à échauguette, rues aux pavés
d’antan, etc.
Toute l’équipée se retrouve donc à l’Auberge des Templiers
pour une ripaille auvergnate.
Ensuite, alors que les régionaux s’en retournent at home,
les irréductibles Gaulois du nord s’en vont assurer leur
transit sur les pentes du col de Legal. Une façon comme une
autre pour faire de la place pour le bolo du soir.
Voilà qui met un
point final à mon exercice de style. Or, comme ma prose
avec l’âge explose, mon prose de plus en plus s’expose !
Néanmoins, que ça plaise ou non, c’est le cadet de mes rous… !
Moi, j’y ai pris mon pied en vous racontant cette escapade
mijotée dans l’état second des petits matins, le moment
idéal où la semi conscience me susurre les plus belles
histoires. Au moment précis où la bourse cote à la
hausse !
Un dernier mot !
Il serait de bon ton de considérer ce compte-rendu comme un
bouquet de pensées en complément du magnifique foulard en
tulle zéphyr orange offert par Jean-Luc et Fabienne à « Domini
vosbicum », la reine et lauréate de la journée.
Habemus mamam Francorum montes !
*¹ Fabienne aura certainement déjà cultivé les orchidées
de Miss Blandish de James Hadley.
*² Note pour la jubilaire : j’ai écarté une allégorie d’un
autre thriller qui risquait d’être mal interprétée par un
lecteur rigoriste ou un chicanier.
Automne 2013
bruffaertsjo@skynet.be
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