Avant-propos
Conter une aventure, articulée
essentiellement autour de montées et de descentes de
cols, est une tâche fastidieuse tant pour le lecteur que
pour l’auteur. D’autant quand les ascensions sont
archi connues de tous les cyclistes de 7 à 77 ans et
qu’il ne s’agit pas d’une compétition. Et quand bien
même ce serait une course, un récit bien écrit ne
rivalisera jamais avec les commentaires d’un
radioreporter talentueux. Comme mon projet flirte avec
« mission impossible », il m’est indispensable de
recourir à une astuce pour mobiliser votre attention. Ce
n’est pas en bricolant la fiche technique en lui
ajoutant une annotation par-ci, par-là que l’affaire
sera bouclée. Il est donc impérieux de trouver un
levier qui empêche de sombrer dans la mièvrerie. Et
comme levier, rien de tel que le coup de théâtre.
Aussi ai-je fait appel à cette astuce pour animer,
voire relancer le récit. Nonobstant les aspects
démesurés et rocambolesques, les anecdotes sont
véridiques à 100%. En dépit de sévères saignées
intervenues lors de la rédaction, la chronique compte
nez en moins quelques parenthèses. Une chance sinon je
fermais boutique. Hé "L’Homme pressé" ! (compliments
à Paul),
au cas où mes effets de plume t’indisposent, consulte la
fiche technique ; les métaphores te donneront un goût de
parfum. Enfin, la concordance des temps n’est pas
toujours respectée. À force de faire des bonds dans le
passé, il m’arrive de m’fouler parfois un poignet.
Mais, rassure-toi, jamais la menteuse !
Préambule
Dès ma conversion de
footeux en cyclo, j’ai considéré les randonnées alpines
comme le Graal du vélo. Les toutes premières balades
d’agrément ont très vite fait place à des sorties peu ou
prou musclées. En parallèle à l’effort sportif, je
prenais mon pied quand je traçais un circuit sur carte.
À
l’époque, c’était le Brevet des Randonneurs des Alpes
(BRA) qui polarisait l’attention des cyclos impatients
de se péter les varices dans les Alpes. Dans les années
quatre-vingt, les courses
"Open"
comme la Marmotte, la Louison Bobet, etc. attirèrent un
peloton éclectique de cyclosportifs qui avaient tété, ne
tétaient plus mais espéraient encore téter (en bon français, se refaire une jeunesse).
De nos jours, à côté des organisations traditionnelles,
ce sont les
"Cycling Classics" qui ont
repris le flambeau afin de séduire les gros bras qui
veulent péter le feu en montagne. Quant à moi, la
fringale de vélo allait et va toujours bien au-delà de
l’effort physique. Elle se segmente en 3 phases : la
préparation, l’exécution et la finalisation d’un défi.
Notez que la lecture de carte m’est un exercice familier
depuis ma tendre enfance. J’arrête les frais à ce
propos sinon je vous tartine tout un panégyrique, en
roue libre ou à pignon fixe, qui risque de vous
assommer. Bref ! Aussi, les épreuves
"clé
sur porte, ttc"
ont-elles toujours suscité un enthousiasme mitigé à
l’électron libre que je suis resté toute mon existence.
Faut dire qu’en plus des brevets d’un jour,
j’affectionnais les challenges de longue durée. En
fait, le vélo me plaisait sous tous ses angles.
Je vous propose de
remonter la machine du temps. Nous sommes en février
1983. Je viens de fêter mes 39 ans, un nombre idéal en
numérologie qui promet la réussite grâce à de la
persévérance dans les efforts. Me v’là blindé pour la
suite des opérations. Après ma récente admission aux
"Cols
Durs",
j’aspire figurer asap au sein du prestigieux
"Club des Cent
Cols".
Cinq ans plus tôt, j’avais ouvert la chasse aux cols par
la Sentinelle près de Gap, de même que la conquête des
bosses dans les randonnées au long cours (cf. L’Odyssée d’Omer). Tout en
respectant les règles de l’art des forçats de la route,
sans bonbon ni coup de fouet, of course ! Ainsi, me
suis-je fatalement trouvé à collectionner les sommets.
Les côtes, les cols, les bosses et les monts. Les
seuils et les puys. Et bien plus tard, les faux cols et
les collets montés. Maintenant que le poids des années
s’est mis à jouer les rabat-joie, ma plume a recours à
des formules imagées, colles-en-bourre
et jeux de mots tels les cols-à-taire
par exemple pour décrire le coup de cul d’une banale
taupinière.
Mon premier soin a
été de m’immerger dans le monde fédéré du vélo. La Fédération belge du Cyclotourisme
(FBc) répondait le mieux à mes attentes pour rouler
sur les brisées du copain de l’école devenu entretemps
le
"Cannibale".
En allure libre, sans capitaine de route ! Le BAR (le
pendant du BRA français),
qui s’élançait de Verviers, fut l’un de mes premiers
brevets fédéraux. Il développait une distance de 212 km
pour une dénivellation supérieure à 3000 m comprenant
les côtes du Stockeu, la Redoute, le Rosier et le Signal
de Botrange comme principales difficultés. Toutefois,
les monuments tels Liège-Bastogne-Liège (T-B-T),
le mur de Grammont et autre Mont Ventoux faisaient déjà
office de vieilles connaissances.
Chassant trente-six
lièvres à la fois, je me suis retrouvé très vite inscrit
à l’Ordre des Cols Durs, au Club des Cent Cols, aux
Monts de France, au challenge du BCCB (Brevet
cyclo-côteur belge),
au BIEG (l’ancêtre
de l’Eurocycling),
au Cotacol et j’en passe des farces et des attrapes !
Revenons au début des
années quatre-vingt. J’ai envie de casser la baraque
comme Eddy !
À
ma façon !
À
mon allure ! Réussir un truc qui marquera d’une
pierre blanche mes annales cyclosportives. Pour mener
cette toquade à bon terme, cap sur la Savoie ! Une année
plus tôt, j’avais épinglé la plupart des grands cols des
Alpes de Haute-Provence. Le séjour d’une semaine en
étoile m’avait fait découvrir 26 cols dont la Cayolle,
Allos, Vars, Noyer, Mont Colombis et Pontis pour ne
citer que les plus pentus. Pour ce premier séjour
prolongé en haute montagne, mon mécanicien-vélociste
m’avait conseillé une gamme de développements adaptés
pour grimper aux arbres, compte tenu d’un pédalier qui
n’était pas conçu pour recevoir un triple plateau.
Voilà le pourquoi d’un double pédalier (48/34 dents)
servi d’une roue libre allant de 14 à 28 dents. Cet
ensemble correspond à un développement de 7.32 m
maximum et 2.29 m minimum. Nonobstant cette combinaison
peu orthodoxe, la consigne
"voir
petit"
tenait la route. Aucune mise à pied forcée n’eut lieu !
Aucun souci ! Dès lors pourquoi ne pas reconduire la
formule en Savoie ?
Mon premier soin fut de glaner une masse d’informations concernant le
challenge que je me proposais d’effectuer ! Pour ce
faire, consultation auprès de Gérard Valla, un
chroniqueur du
"Cycle"
bien informé et responsable de la rubrique des
"Cols Durs".
De sa réponse, je retiens surtout la mise en garde :
"Ne
pas avoir les yeux plus grands que le ventre". Pour mémoire
cependant, il m’avait concocté un menu décliné en 4
étapes d’une moyenne journalière de 156 km et 3362 m de
dénivellation. Sans commentaires ! Une analyse remixée
de mes notes me fit craindre que le cocktail (ou le coq tel sur un tas de fumier)
soit quelque peu explosif. Aussi, mes prétentions sont-elles
revues à la baisse ! Un an après mon expédition, la
parution de l’ouvrage des
"
100 plus belles
randonnées du cyclotourisme",
une savante compilation commentée par Jean Durry et
Jacques Seray, me renseigna que le périple ressemblait
bigrement à un mix futé du BRA et de la Randonnée alpine
de Georges Rossini.
À propos d’équipement !
Je suis à la lettre le conseil de mon mécano
et j’écarte deux éventuels trouble-fête. Exit le sac à
dos pour des raisons d’inconfort (poids et
transpiration). Exit le porte-bagages arrière au profit
du tout-à-l’avant afin d’assurer le confort du
pilotage. Cette option soulage également la roue
arrière qui supporte les 2/3 du poids du cycliste et
diminue les risques de bris de roue. Le spécialiste me
recommanda vivement l’utilisation du porte-bagages
surbaissé en alu qui apporte un équilibre comparable à
celui du balancier du funambule. En plus, il diminue
l’amplitude des oscillations et annule l’instabilité
créée par le sac de guidon. Et encore, la formule
permet au cyclo de se mettre en danseuse puisqu’en
déportant son corps vers l’avant, le centre de gravité
reste +/- identique. Tout le monde sait qu’il est
préférable de pousser une charge plutôt que de la
tirer. Bref ! La formule a toujours la cote à l’heure
actuelle. (Hélas,
la bourse a fortement chuté ces dernières années !)
Quant à rédiger
l’inventaire des sacoches : jamais de la vie. Les
besoins des uns diffèrent trop de ceux des autres. Tout
est relatif. En général, le randonneur a toujours
tendance de s’encombrer de frusques inutiles alors qu’un
peu de poudre à lessiver fait souvent l’affaire. J’ai
connu un randonneur qui pesait absolument tout, au
gramme près, même les mouchoirs en papier, mais qui se
passait de garde-boues au profit de sacs en plastique en
guise, en guise (Hé
non ! No parasol du Mexicain !)
de couvre-chaussures !! L’ersatz est à déconseiller.
T’es sceptique, qu’à cela ne tienne ! Creuse une fosse
et tu seras vite mis au parfum ! Pour ma part, au vu
des conditions précaires entourant le défi, j’avais
décidé de faire confiance à un pro
ce
qui m’évitait de casser des noix sous mon petit nuage
belge. Quarante ans plus tard, étant donné que la
technologie du vélo m’est restée un casse-tête chinois,
j’en suis toujours au stade primaire !
Fiche technique
27 cols, 3 côtes
Km total : 682 Dénivellation totale : 16350 m
6 étapes :
1. Les Grandes Espérances !
Lun. 04.07.1983 Les Gets –
Flumet
2. Roule ou Crève !
Mar.
05.07.1983 Flumet – Val d’Isère
3. Alléluia, un bon pour l’enfer !
Mer. 06.07.1983 Val
d’Isère – Les Verneys
4. Ça ne s’invente pas !
Jeu. 07.07.1983 Les Verneys – St
Jean de M.
5. Pleure pas Madeleine, j’arrive !
Ven. 08.07.1983 St Jean
de M. – Serraval
6. Remouille-moi la compresse !
Sam. 09.07.1983 Serraval
– Les Gets
Moyenne journalière : 114 km - 2730 m dénivellation
positive (Savoie & Haute-Savoie) - Au total +/- 60
heures de selle soit une moyenne de 10 heures par jour
de route.
Cinq tuyaux en or
!
Le
cycliste doit faire corps avec son vélo. Il doit se
sentir assis, en permanence, dans un fauteuil ! -
Prévoyez
un tant soit peu l’extrême et planifiez un plan B en cas
de pépin. -
Équipez
le vélo d’un développement propre à grimper aux arbres !
- Scellez
la petite visserie à l’aide d’une goutte de laque
(empêche et retarde la déglingue de la quincaillerie). -
Ayez
en réserve quelques colsons et un empiècement de
carcasse de pneu usé (colmatage d’une petite déchirure
de pneu).
NB: Que les initiés me pardonnent d'énoncer les
évidences archi-connues.
Exemples : mes préparatifs spécifiques pour "la Randocol
alpestre".
Belgique : participation à quelques brevets musclés
comme la Randonnée des Ardennes Françaises qui
développait 243 km pour 4.227 m de dénivellation (cf.
illustrations).
France : une semaine de mise en train dans le Chablais
comprenant de multiples ascensions de 1re
catégorie et le Brevet montagnard de Taninges.
Quid le vélo électrique ?
Mon commentaire sera aussi bref que catégorique. Le VAE
va à l’encontre de l’éthique du sport. Pour peu que le cycliste surveille
la charge de la batterie, il est assuré d’arriver au but
sans jamais y laisser un poumon !
En un mot comme en cent,
ne faites pas le parallèle entre une petite reine et un
vélo déguisé en mobylette. Autant comparer une
Citroën 2CV à une Ferrari 812 Superfast !
1.
Les Grandes
Espérances
(Lundi
04.07.1983)
Itinéraire : Les Gets – Flumet via Thorens-Glières et le
GR 96
Départ 7H am – arrivée 18H pm
Distance : 126 km
Dénivelé positif : 2818 m - Dénivelé négatif : 3129 m
Cols : La Savolière (1416 m) - La Ramaz (1557 m) – Les
Evires (810 m) - Les Fleuries (902 m) - Le Collet (1390
m) - Les Glières (1440 m) - Les Aravis (1498 m)
Misère, cher Omer ! Lustucru qu’avant le premier coup de
pédale, je fusse contraint de te renvoyer derechef au
dernier paragraphe de la préface. Souviens-toi ! J’y
faisais part de mon obscurantisme concernant la théorie
aristotélicienne sur les lois de la dynamique. (Commentaire
supprimé en dernière minute ! Trop alambiqué !)
Baste ! Aussi, comme je ne tiens pas à pisser dans le
violon, il ne
reste plus qu’à me joindre à la famille qui installe ses
quartiers d’été aux Gets. Très précisément à l’orée des
pistes du Col des Gets (1172 m), appelé également
col des Juifs. (Shalom
aleichem ! I like h’m Slalom !)
Un vaste premier étage d’un chalet,
accessible par une volée d’escaliers, a été investi pour
l'occasion.
Fin prêt depuis la veille, j’attends avec impatience le
chant du coq pour m’éclipser sur la pointe des pieds.
Quant au vélo remisé sur le balcon, il n’y a plus qu’à
le descendre via l’escadrin.
Lendemain matin, première heure. Bon prince, mon
beau-père me donne un coup de main pour déposer mon
destrier au rez-de-chaussée. Posant un pied sur la
première marche de l’escalier, il manque de se casser la
pipe, jure comme un grenadier et s’exclame :
"C’est pas vrai ! Dis donc, où comptes-tu aller
ainsi ? T’es marteau ou quoi ? Ton bahut pèse au moins
une tonne ! Vouloir monter toujours plus haut, à quoi
ça rime puisqu’on finit toujours par des cendres, comme
disait l’autre !" Mézigue, malin comme un singe,
coltinant l’arrière du vélo libre de tout paquetage,
m’empresse de lui préciser que porter un poids n’est en
rien comparable à une traction de même charge. Je lui
fais grâce de la théorie aristotélicienne sur la
dynamique dont j’ignore le CQFD. (Ce
qu’il faut délirer)
Les premières pédalées sont les plus agréables du
circuit ! Et pour cause ! La route plonge tout de go
dans la vallée de Taninges et perd 200 m d’altitude sur
près de 5 km. Au pont des Gets (967 m), je quitte la
Route des Grandes Alpes pour celle du Fry qui s’échappe
à droite. Forza Belga !
La route s’envole littéralement sur les pentes de la
Savolière, dépasse les 10%, voire égale les 14%. Le
sommet du col est atteint après 4 derniers kilomètres
extrêmement ardus. Ensuite, la pente se fait plus douce
à hauteur de la Station de Praz de Lys (1500 m). Il
reste moins de 3 bornes à 4% pour rejoindre le col de
la Ramaz. Je ne reconnais pas les lieux. Or, 4
jours plus tôt, lors du Brevet montagnard de Taninges,
j’avais eu l’occasion de prendre mes marques. Dans le
sens inverse, il est vrai ! Cette constatation confirme
que l’œil droit n’a pas la même vision que le gauche.
Vous ne me croyez pas ? Tant pis ! Je m’en tamponne le
coquillard. Peu après le sommet, je suis gratifié d’un
magnifique panorama sur la Chaîne du Mont Blanc. Un bon
endroit pour récupérer ! Longue descente pour rejoindre
la vallée du Giffre. "La Randocol alpestre" étant
exclusivement montagnarde, je m’abstiendrai d’analyser
au peigne fin toutes les ascensions. Un truc à retenir, c’est
l’accumulation des dénivelés qui durcit l’étape.
De la traversée de la vallée du Giffre, il ne me reste
quasi aucun souvenir excepté un ciel chargé qui finit
par se déchirer. En abrégé, ça donne : « Grisaille !
Circulation ! Crevaison ! À l’horizon, un mirage !
Nenni, c’est bel et bien un orage ! » Bref ! La tasse
est amère, le calvaire se tasse. Cependant, mon souci
reste entier puisque "si le début juillet est pluvieux,
le restant du mois sera douteux". Me v’là averti !
Thorens-Glières
(666 m), cité des maquisards. Je suis à mi-chemin de
l’étape ! Encore 2 massifs montagneux à franchir : le
plateau des Glières et le massif des Aravis. Le plus
dur reste à faire. Pour commencer 2 cols pour accéder
au plateau des Glières qui est une véritable forteresse
naturelle. Dénivelé 800 m, 13.5 km de grimpette (pente
moyenne 5.8%).
Le col du Collet, situé à la sortie du bois,
marque l’entrée de la combe d’alpage des Glières.
Ensuite, le col des Glières n’est plus qu’une
formalité. Le panorama de l’alpage se réduit à une ou
deux granges éparses. Le site, qui fut le théâtre de la
première bataille des maquisards en 1944, avait été
inauguré en 1973 par André Malraux à l’occasion de
l’implantation du monument national à la Résistance de
la Seconde Guerre mondiale. Septante-cinq ans plus
tard, Emmanuel Macron accompagné de Nicolas Sarkozy
remettront le couvert en commémorant l’anniversaire des
combats. Je suppose que le paysage a subi pas mal de
changement depuis mon passage. Surtout depuis que le
Tour de France a adoubé le col et a classé le versant
Nord-Est parmi les cols " hors catégorie".
Retour au 4 juillet, jour de la St Florent où tous les
enfants ont une pensée pour leur maman. Le
bitume disparaît et j’entame la descente par un chemin semi-muletier défoncé. Ma séance de roue libre est bien
vite stoppée par la rencontre inattendue d’une équipe de
géomètres qui arpentent le maquis. Courte halte et
échange de commentaires concernant les instruments de
topographie Wild. Même au bout du monde, je trouve le
temps de baratiner les clients. Aventurier oui, mais
scout toujours prêt, aussi ! Après ça, ne me dites pas que les
vaches ne sont pas bien gardées !
Le temps se couvre, je ne m’attarde pas. Je savais que
les longues descentes n’étaient pas de tout repos. Par
contre, j’ignorais qu’au mois de juillet, on pouvait
avoir les mains paralysées de froid (les doigts gourds)
handicapant jusqu’à l’utilisation des manettes de frein.
C’est au pied du col (740 m) que le ruisseau de l’Essert
conflue avec le torrent du Borne. Nous sommes au cœur
du massif des Aravis. À proximité d’Entremont, une
violente averse me contraint à chercher refuge sous
l’appentis d’une scierie. Le contretemps est mis à
profit pour changer un boyau en partie déjanté par la
caillasse. La pluie redouble
d’intensité, les grumes dégagent une odeur de plus en
plus forte dont je me goinfre littéralement, tout en me
penchant une dernière fois sur l’itinéraire.
Saint-Jean-de-Sixt
(956 m) n’est pas très loin et le col des Aravis,
quoique jouissant d’une sacrée réputation, devrait se
franchir sur des coussins d’air. Pour autant que
les profils consultés s'avèrent exacts !
Haut lieu du sport cycliste, c’est un col facile qui se
monte en souplesse avec pour distraction des clochers à
bulbes qui surprennent par leur architecture et
d’imposantes fermes où se fabriquent le reblochon.
Quant au point de vue sur le Mont Blanc, bernique !
L’horizon est bouché comme une bouche d’égout
constipée !
Toutes voiles dehors (celles
de mon poncho),
je file à tout berzingue sur le Val d’Arly via les
gorges de l’Arondine. Sous une pluie battante !
L’ancienne cité fortifiée de Flumet (910 m) se dissimule
sous une épaisse nappe de brouillasse. Je me précipite
à l’Hôtel des Cèdres où je suis attendu et, sans tarder,
je fais le point de la journée. Petit aparté ! Je
reconnais humblement que cette première étape n’a rien
de palpitant. Ne perdez pas espoir, la seconde étape
réserve l'amorce d'une surprise.
Flumet
(854 m).
Mon stock de boyaux de rechange s’étant réduit à une
peau de chagrin, le réapprovisionnement est obligatoire
sous peine de me voir parqué dans la pampa. La bombe
anti crevaison ou "
le latex liquide bouche le trou et tu repars"
n’existait pas à l’époque. Après consultation auprès du
peuple, un saut s’impose à Albertville ou Megève pour
faire le plein de boudins. Une amusette pour un
cycliste comme vous, ouïs-je persifler du fond du bar.
Je fais la sourde oreille et je remets le détour au
lendemain à la première heure. Ingrat, je ne tends pas
l’oreille à la cloche de l’église bénie de
Saint-Théodule qui me promet d’écarter tout risque
d’orage. Tu parles, Charles ! Je suis imperméable à ce
genre de bobard et préfère aller méditer en chambre.
" Heureux soient les fêlés, car ils laissent passer la
lumière."
Michel Audiard
2.
Roule ou Crève !
(Mardi
05/07/1983)
Itinéraire :
Flumet - Megève - Beaufort sur Doron – Val d’Isère
Départ : 6H30 am – arrivée 19H30 pm
Distance : 125 km
Dénivelé positif : 3623 m -Dénivelé négatif : 2694 m
Cols
:
Megève (1130 m) - Les Saisies (1633 m) - Le Méraillet
(1605 m) - Le Cormet de Roselend (1968 m) - Montée de
Val d’Isère (1840 m)
J’ouvre un volet. Bingo ! La montagne accouche d’une
orange sanguine dans les douleurs de l’aube. (rudement
bien torché, n'est-ce pas !))
L’heureux présage m’incite à mettre le cap sur Megève.
De plus, ayant acquis un bon coup de pédale au
cours des semaines précédentes, je ne ressens aucune
fatigue du jour précédent. L’hôtel est désert.
La douloureuse étant
réglée la veille, je fausse compagnie dès la première
heure sans attendre le petit déjeuner. Une initiative à
bannir de son planning car les pâtes de fruit et les
capsules de sodium ne compensent guère un p’tit dej’
copieux.
Meu-gève ou "La Petite Suisse des Alpes" sort à peine de
sa léthargie quand je me pointe devant le magasin de
cycles. Le rideau métallique est baissé, aucune
loupiote allumée. N’y a plus qu’à faire le pied de grue
devant la boutique. Tout vient à point à qui sait
attendre, n’est-ce pas Clément ! Et d’être content sans
vouloir davantage, c’est un trésor qu’on ne peut
estimer ! Es-tu sûr de ton aphorisme, Clément ? Oui !
Miel ! C’est à mon détriment ! C’est moi le maraud,
alors ! Le vélociste avait fini par se manifester et me
fourguer des boyaux increvables. Bonne poire, je pris
sa parole pour de l’argent comptant ! Deux jours plus
tard, j’étais fixé sur l’increvabilité du Tubeless.
Crevaison garantie, tu blesses, oh yes !
Pour l’heure, fouette cocher ! La route est longue ce
mardi. Le Val d’Arly est dévalé plein tube jusqu’au pont
qui enjambe l’Arly en direction du col des Saisies. Comme le détour par
Megève s’est avéré plus long que prévu, interdit de rêvasser.
C’est au pas de charge que le col est franchi. Il faut
savoir que les cols grimpés à la fraîche sont nettement
plus accessibles qu’en fin d’après-midi. Bref moment de
recueil devant la stèle érigée en souvenir du
parachutage d’armes aux résistants et, à l’horizon
derrière le monument, le Signal de Bisanne me fait de
l’œil. Une invite ? En vain ? Non ! Si ! Ce n’est que
partie remise. Près de trois décennies s’écouleront
avant la chute du mur de Bisanne, une des ascensions
les plus épiques qu’il me sera donné de réaliser au
départ d’Ugine. Me v’là au cœur du Beaufortain. Un
paysage accueillant caractérisé par des herbages sans
fin. Le moral est revenu ! Seul bémol, un genou
capricieux me rappelle les frasques de ma jeunesse. Une
déroute se profilerait-elle à l’horizon ?
Je refuse de l’envisager !
Comme le plat de résistance doit encore venir, je me
rabats à c’t’heure sur le casse-croûte. Une lacune
dans mon journal : je n’ai pas notifié si j’ai fait
honneur à la spécialité du coin c’est-à-dire au "Beaufort",
surnommé le "Prince des gruyères" par Brillat-Savarin himself ! Or, comme le fromage est un des seuls aliments
qui flatte mes papilles, je ne suis pas prêt d’oublier
ce brillant personnage qui, par ailleurs, nous a légué
un tas de réflexions dont « un dessert sans fromage, est
une belle à qui il manque un œil ».
Sur ce bon mot, je fais le point. Il reste tout juste
68 km à parcourir et franchir un dénivelé de 2450 m soit
6 heures de route au minimum. Le côté positif, c’est
qu’une réservation me garantit un toit pour la nuit à
Val d’Isère. C’est déjà ça ! Cependant, mon souci
n’est qu’à moitié résolu car si je me mets à relater les
péripéties des deux super ascensions que sont le Cormet
de Roselend et la montée à Val d’Isère, vous allez
m’envoyer sur les roses avant que je sois parvenu au
sommet du col de Méraillet. Par conséquent, je cède la
parole au chroniqueur de Grandfondo France pour vous
instruire sur l’une des plus belles ascensions du
périple. Le reportage vaut le détour. (Si
vous n'êtes pas pressé !)
https://granfondofrance.com/blog/decouvertes/le-cormet-de-roselend-en-attendant-l-etape-du-tour
Par contre, si vous n’êtes pas trop branché sur le Tour
de France, switchez sans crainte sur le blog suivant
dont la description du col s’arrête hélas au lac de
Roselend :
https://clementchabert.fr/cyclisme-le-discret-mais-tres-frequente-col-de-meraillet-beaufortain/
Grâce aux deux reportages, un pas de géant est fait dans
l’écriture. Cette initiative vient à point nommé car
dès le défilé d’Entreroches à la sortie de Beaufort (765
m), les ennuis se mettent à se multiplier et m’auraient
donné l’occasion de relater les douleurs d’un
atroce chemin de croix. Je payais cash le
survoltage de la matinée. Le genou droit se vengeait en
me faisant souffrir le martyre pire que le calvaire d'El
Toro sous les banderilles du matador.
Bourg Saint-Maurice
(820 m). Des tracasseries d’un autre genre surgissent
et empoisonnent mon existence. Figure-vous que les
vibrations ont déglingué la tringlerie et ont semé vis
et écrous à tous vents dans les lacets et les longs
bouts droits de la descente du Cormet. Et alors
Zorro ! N’y a plus de Zorro à c’t’heure, mais la
recherche laborieuse d’une quincaillerie. Pas évident
de trouver un bric-à-brac en montagne. À l’aise,
Blaise ! Le soleil chauffe (Marcel)
et fait oublier les pétarades qui abasourdissent la
nationale.
Séez
(900m). Carrefour de deux cols majeurs à savoir le
Petit Saint Bernard et l’Iseran. Un vent debout remplit mes yeux de
larmes, ne parvient pas à me désarçonner mais installe
le doute quant à ma "Joyeuse Entrée" dans Val d’Isère.
Saloperie de vent contraire, voilà une nouvelle donnée
qui s’ajoute à mes soucis. Or, le droit à l’erreur est
interdit dans ce genre de folle chevauchée.
Il reste 29 km à mouliner jusqu’au gîte. Je fais le
vide dans ma tête et applique ma sempiternelle devise :
"Hâte-toi lentement".
.
Facile à dire quand une rotule t’envoie chez Plumeau !
Que retenir de cette ascension ? Un conseil ! "Rester
humble et l’obstacle sera franchi en deux coups de
cuillère à pot !" Autrement dit, tempère tes ardeurs,
pépère et tu rentres gagnant ! Maintenant si le pot est
un chaudron, gaffe-toi c’est pas coton de requinquer
quelqu’un qui est à ramasser à la petite cuillère !
La montée débute vraiment juste avant Sainte-Foy de
Tarentaise. Malgré les rampes à la sortie du village,
j’ai carrément refusé de rendre les honneurs du pied à
ce raidard. Bis repetita dans l’entité de La Thuile.
Jusqu’au barrage de Tignes, rien d’exaltant à signaler.
Je me suis hâté lentement sur une route en réfection.
La DDE colmatait les trous du tarmac avec du bitume qui
au fur et à mesure se coinçait dans les sculptures des
boyaux. Or, l’espace réduit entre boyaux et garde-boues
provoqua aussitôt un frottement désagréable qui me
contraignit à un débitumage continu de la gomme des
boudins et ce, tout en roulant, of course ! Encore une
emmerde dont je me serais bien passé. Moralité ! Vélo
de course et randonneuse sont deux engins à utiliser à
des fins différentes. Pour autant que la faim de vélo
soit présente au préalable.
En résumé, retenez que les pentes les plus raides se
dressent avant le barrage du Chevril. Notez aussi dans
vos tablettes que cette première partie de col n’a rien
d’euphorique !
Lors de mon passage, la plupart des tunnels entre Tignes
et Val d’Isère étaient super mal éclairés. Dans
une des dernières galeries, j’ai été forcé de m’arrêter
devant " le schwartz" total qui se perdait dans le néant. Le
trou noir ! Une énigme résolue sur-le-champ par le
conducteur d’une Peugeot 404 qui s’est proposé de
m’ouvrir la route des Enfers. Fin de mouscaille !
Décompression sur les 6 derniers kilomètres de faux
plat.
Le jour s’éternise, malgré un soleil qui se traîne
derrière les sommets du Grand Paradis. Ouf ! J’entre
dans Val d’Isère sur une rotule vaillante et une
autre en compote. Repérage sans problème de " l’Avancher"
où
bibi l'éclopé
dispose aussitôt de sa chambre. Jaune comme un
coing, je commence par remettre mes tripes ; ensuite le
repas du soir est avalé comme un vampire en manque
d’hémoglobine. Ma chance, c’est que je croûte pour
survivre ! Soirée scandée sur la Marche funèbre de Chopin : « Il
est crevé, Plus moyen de l’réparer… » Patience, très
cher, il va y avoir du neuf sous peu!
Nuit nerveuse, agitée mais …je ne finis pas au tapis
comme dans le Jura !
"Le temps passe, mais les souvenirs restent même après
de longues années, grâce … à mes petits papiers.
Mr. Blanc de Blanc
3.
Alléluia, un bon
pour l’enfer !
(Mercredi
08/07/1983)
Itinéraire :
Val d’Isère – Lanslebourg – Saint Michel de Maurienne –
Valloire – Les Verneys.
Départ 8H15 am - arrivée 17h30 pm
Distance : 108 km
Dénivelé positif : 2096 m - Dénivelé négatif : 2376 m
Cols :
L’Iseran (2770 m) - Le Télégraphe (1570 m) – Le coup de
cul des Verneys (1557 m)
Dès le lever du jour, j’appréhende le spectre de
Sisyphe ! Comme à l’époque, j’étais encore un bleu, la
troisième étape risquait d’être un cap délicat à
négocier. Dès lors, pondération et prudence devenaient
les mamelles du cyclo !
Le profil de
l'étape, je le connais par cœur.
Ça commence par une mise
en route tranquille prolongée par une fin de col un peu
plus exigeante. Ensuite une très longue descente
agrémentée de faux plats et l’ascension du col du
Télégraphe comme finale. En somme, rien de plus
banal !
De fait ! La distance et le dénivelé sont modérés par
rapport aux autres étapes.
Par conséquent, je saute du lit avec du pep à revendre
! Le soleil me fait la fête, le genou se fait oublier.
Du calvaire de la veille, je ne ressens qu’une vague
démangeaison au niveau des ligaments.
En selle pour 16 bornes de grimpette ! Si le paysage
n’avait rien de convaincant dans la première partie du
col, dès la sortie de Val d’Isère, ça change de
répertoire. La végétation se fait rare et les névés
apparaissent. La pente oscille entre 4% et 7% sans le
moindre mur. Les 2 derniers km sont les plus pentus
8.5% et 7%. Bingo ! Un des plus hauts cols d’Europe
est passé comme une lettre à la poste. Un détail me
chagrine. J’ai beau me presser le citron, battre le
rappel de ma mémoire, il n’en sort pas une goutte de
souvenance concernant Le Signal (2310 m), terminal du
téléphérique, situé à 7 km du sommet. Or, à cette
époque, le téléphérique du Fornet existait depuis
10 ans.
Col de l’Iseran.
Photo d’un homme satisfait qui, par prévoyance avait
acheté une carte vue anticipant le coup de guillotine du
sujet par un photographe de fortune ! Pour rappel !
En ce temps-là, il fallait encore attendre le
développement pour visionner le cliché. Le clou du
sommet ? En lieu et place d’un cairn
(=un
tas de pierre servant de repère)
pour matérialiser le sommet, les autochtones ont érigé
la chapelle de Notre-Dame-de-Toute-Prudence afin de
mettre le haut lieu sous la protection divine. Je
snobe ni plus ni moins cette anecdote locale. Quant au
clou (de
tapissier),
je le dépose aux pieds de Gino Bartali dit le Pieux qui
franchit pile-poil 45 ans plus tôt l’Iseran en tête
(sans crever !)
qui était, en ce temps-là, la route carrossable la plus
haute d’Europe. La sensation de dominer la vallée prend
le pas sur le mystique.
Fidèle à ma devise, je m’apprête à débouler la
Haute Maurienne en trombe. Et tu sais quoi ? Je suis scotché au
bitume ! Au lieu de descendre à fond la caisse, le vent
de face me contraint à écraser les pédales. Pour des
prunes ! Je fais tout simplement du sur place, mon
rythme cardiaque s’affole ! Alors que la route pique du
nez ! Purée ! Si cette plaisanterie perdure sur 73
km, il est préférable de rebrousser chemin. Dingue de cuver une idée pareille, je
vous l’accorde, mais quand le cambouis colle aux
méninges, tout est possible ! Je me sens en état
second ! Bref ! C’est debout sur
les pédales que je dévale à l’allure d’un crabe
(à reculons !)
la chiée de lacets et de faux plats descendants du Parc de la Vanoise. En l’eau qui rance,
des trompe-l’œil épuisants ! Et encore, si ce n’était
que ça !
Bonneval-sur-Arc
(1835 m), village perché de la Maurienne. La localité,
qui deviendra un jour un des plus beaux villages de
France, me laisse indifférent pour l’heure et je passe
outre sans jeter un coup d’œil aux maisons de pierre
aux toits bleutés.
Lanslebourg
(1399 m) : déjeuner : je picore tout en me hâtant
lentement !
Je ne m’étendrai pas sur la Maurienne qui est une terre
de patrimoine. Mes priorités, je l’ai déjà annoncé,
sont un défi qui se décline en trois phases : le temps,
la distance et le dénivelé. De toute manière, le
contact avec la Haute Maurienne dans la descente de
l’Iseran ne m’a pas fasciné. Alors, pas du tout.
Cette immense vallée des Alpes est carrément à proscrire
d’un circuit cyclo. À croire que toutes les industries
chimiques et métallurgiques de la Savoie se sont donné
le mot pour envahir la vallée. Une préfiguration de
l’enfer ! Comme je me faufile dans les rues de St
Michel de Maurienne (712 m), je sens mon genou fait de la
résistance ! Les larmes montent aux yeux !
Voilà une nouvelle cata à gérer !
L’odyssée va-t-elle capoter ? Ça sent le roussi !
Facile d’accès, la route du col du Télégraphe se
redresse dès que la rivière de l’Arc est franchie.
D’emblée, la mesure est donnée. Ce sera une moyenne de
7% de dénivelé sur les 12 km que compte l’ascension. Au
bout du 3me ou 4me lacet, qui se love dans la forêt, la
douleur atteint un paroxysme et me fait souffrir comme
un damné. Un supplice qui ne m’est pas inconnu pour en
avoir fait les frais 3 ans plus tôt dans le Tour du
Hainaut qui développait 230 km. L’origine de la douleur
est un déchirement des ligaments causé par un
développement démesuré ou à un poids excessif à tirer.
Dans le cas présent, c’est le poids qui m’assassine.
Pour m’occuper les méninges, je me mets à décliner le
Télégraphe en 12 coups, un par kilomètre ! Coup d’envoi
(km 0) : le cœur n’y est plus ! Quant au coup de jarret
(km 1), j’oublie cette utopie puisque le coup de théâtre
(km2) a démoli mes espoirs d’y briller un jour ! Ce
coup dur (km3) ressemble bigrement à un coup fourré (km
4) échafaudé par le Bon Dieu des Cyclos qui veut
rabaisser mon caquet. Par conséquent, pas question de
donner le coup de collier (km5) qui risquerait de se
transformer en un coup de grâce (km 6). Et encore !
J’accepte ce coup de pied au derche (km 7) à contrecœur
car Frédéric Dard soutient qu’un coup de latte (km8) à
cet endroit fait plus mal qu’un coup à l’amour propre
(km9). Quoi qu’il en soit, j’espère que ce coup d’essai
(km 10) ne finira pas en coup de Trafalgar (km11).
Aussi, pour mettre toutes les chances de mon côté, dès
le sommet, je m’empresse de donner un coup de télégraphe
(km 12) à mon cicérone, qui anticipant mon futur coup
de gueule (le
treizième de la douzaine !)
sur les hauts de la Colombière, me fustige en soulignant
qu’il est honteux de faire son propre éloge. Ensuite,
comme Hercule, je descends aux Enfers pour mettre fin à
ces Travaux Inutiles, ce qui me vaut la punition de
Sisyphe. Notez que je vous évite le coup de sang car des coups, au plus
j’en sors, au plus il en vient ! Quant au proverbe
allemand qui assure que les coups rendent sage,
permettez-moi d’en douter !
Deux ans plus tard, lors de la Marmotte 85, le pénible
souvenir me plomba les guibolles jusqu’à Valloire. Je
sucre encore et toujours, rien que d’y penser !
Quelle affaire!
En attendant, je galère comme un forçat jusqu’au seuil
du chalet des Verneys. Quant à mes impressions sur ce
juge de paix, je suis infichu d’en relater le moindre
mot. Mon genou en compote avait été mon seul souci.
Comment suis-je parvenu au sommet du Télégraphe ?
Mystère et boule de gomme !
Le col franchit, je mets la bielle au repos complet
jusqu’à Valloire (1430 m) où la route remonte le cours
de la Valloirette. Un torrent qui sera le témoin muet
d’un fait divers hallucinant.
Les Verneys,
le village-étape, s’offre enfin à ma vue. Exit le
naufrage !
Un bain tonique et un plantureux souper me remontent le
moral bien au-dessus des sourcils. Ça ne suffit
pas ! Il est essentiel de mettre le plan B
sur orbite sinon je serai cuit pour crier misère dès les
premiers coups de pédales.
Voici ce que je mets au menu du jour suivant : blackbouler
le parcours original articulé autour du Galibier et du
col de la Croix de Fer, le remplacer par une variante
accessible tout en gardant le même point de
chute. Mettant tous mes soucis à plat,
je décide d’épingler le Galibier sans les sacoches,
rebrousser chemin au sommet, récupérer les bagages et
filer sur St Jean de Maurienne via la vallée infernale.
L’hôtel de St Jean est une place incontournable. C’est
là où la famille doit me toucher. Il est bon de
rappeler à la belle jeunesse qu’au début des années
quatre-vingt, l’usage de la téléphonie mobile en était à
ses balbutiements. Nous vivions à l’ère du téléphone
fixe. A l’époque, GSM et GPS appartenaient à l’univers
de Flash Gordon et consorts ! L’absence de biniou dans
l’appartement nécessita par conséquent la mise en place
d’un timing très strict. C’est Nadia qui m’appellerait à
l’hôtel. Donc, un contact à ne pas louper pour tout
l’or du monde ! Fixé justement au lendemain soir.
Je m’endors du sommeil du juste avec une foule d’images
qui gravitent dans ma tête. Sur une ballade des Moody
Blues qui me fait planer oh yé ! “Nights
in White Satin, Never reaching the end, Letters I’ve
written, Never meaning to send, … “ Biou.ti.foul,
isn’t it, my dear !
"Chroniquer, c’est se défoncer deux fois ; un brouillon
avec les pinceaux, la mise au net à la plume !
"Mr. Blanc de Blanc
4.
Ça ne s’invente
pas !
(Jeudi
07.07.1983)
Itinéraire :
Les Verneys – Plan Lachat- Les Verneys – St Jean de
Maurienne via le col du Télégraphe
Départ 7H30 am - arrivée 12H pm à St Jean de Maurienne
( pm : ronde locale = St Jean de Maurienne – Gévoudaz
– La Cochette – Col du Mollard – Pont de Belleville et
retour via le même chemin. )
Distance : 98 km
Dénivelé positif : 2085 m - Dénivelé négatif : 3072 m
Cols :
Plan Lachat (1925 m) - Le Télégraphe (1570 m) versant
sud - Le Collet (1150 m) - Le Mollard (1638 m) versant
nord - Le Mollard 1638 m) versant sud
Les Verneys.
Saut du lit. L’air est saturé d’humidité. Il a plu
toute la nuit et le ciel nuageux ressemble à un drap
blanc mal lavé. Le genou défaillant me rappelle a
l'ordre mais j'ai connu pire ! Il ne reste plus qu'a me
rabattre sur le plan B !
En principe, la matinée devrait suffire amplement pour
s’offrir un aller-retour au col du Galibier. Un peu
plus de 16km développant 1100 m de dénivelée positive
n’est pas en mesure d’hypothéquer une journée vélo.
Même avec un genou au bord de la faillite !
La sortie du village me fait aussitôt entrer dans la
zone des alpages. Très vite, j’en suis à crapahuter sur
une ligne droite qui monte en pente douce le long du
torrent. À hauteur du lieu-dit "La Rivine", la route
enjambe le cours d’eau et continue sans décrire la
moindre courbe. Je perçois un infime chuintement
métallique à l’arrière. Un râle agonique à peine
audible. Un premier lacet se présente à l’entrée du
hameau de Bonnenuit (les
petits).
Il reste 4 km pour atteindre Plan-Lachat, qui marque la
barrière symbolique des 2000 m d’altitude. Un endroit
stratégique ! C’est là que la route fait un
demi-tour à
180°.
Un couinement accompagne maintenant chaque coup de
pédale et se transforme progressivement en un bruit qui
déchire le cœur. Arrêt. R.A.S. Je me remets en
selle. Un lacet serré à droite me fait enjamber la
Valloirette. La route relève sèchement du col. Me
v’là dans le vif du sujet, à Plan Lachat,
un des virages les plus connus de France.
Traversée du torrent. Il reste 8 km jusqu’au
sommet et 640 m de dénivelé à gravir. Moins
de 500 m plus loin, ma roue arrière se bloque
brutalement kif, une horloge dont on ampute le pendule.
Et alors …
M… ! M… ! M … ! Aristote, en
personne, aurait perdu les pédales devant cette satanée
inconnue. Deux ou trois rondelles de pignons se
sont désolidarisées du corps de la roue libre, tournent
dans le vide et cisaillent en douce le
hauban inférieur à 2 cm de la patte du cadre. Une
mouscaille à en rester baba comme dirait mon ami Ali.
La question à 100 sous :
pourquoi Aristote en serait-il resté baba ?
Tout simplement, parce que la roue libre se visse dans
le sens des aiguilles d’une montre. Or, comme le sens
du pédalage est identique à celui du serrage d’une roue
libre, le desserrage est théoriquement
impossible . Bref, une telle tuile ça n’s’invente pas.
Au moment où j’enlève la roue pour tendre la chaîne au
clou ad hoc fixé à l’hauban supérieur, plusieurs pignons
et billes de roulement dégringolent sur le tarmac et
partent à dache sur la chaussée comme une armée en
déroute. La seule façon de
sortir de ce mauvais pas, c’est de prendre l’initiative
sans passer par les demi-mesures. Je réfléchis à la
vitesse de la lumière. Je récupère tant bien que mal
quelques pièces éparses, les emballe dans un kleenex, refixe la roue et demi-tour à droite direction Les
Verneys. La main gauche posée sur la cocotte de
frein, la droite serrant toute la quincaillerie. Game
over ? P’tèt ben qu’oui, p’tèt ben qu’non !
Bof! Je
fonce comme une balle! Et voilà que j’écope du super
prix de consolation. À plusieurs reprises, la déclivité
de la pente est tellement faible que je suis obligé de
pousser le vélo. Et ce, dans le col le plus
pentu du
Tour de France ! Lustucru, de quoi décourager tous les
avale-tout-cru !
Je fais fissa pour récupérer mes frusques aux Verneys et
dévale en quatrième vitesse la rampe qui échoue à
Valloire où j’espère débusquer un marchand de
vélos. Bernique ! Le biznis du VTT n’a toujours
pas envahi l’Europe.
J’ai donc intérêt à me magner la rondelle si je tiens à pointer à
St Michel de Maurienne avant les douze coups de midi et
la sacro-sainte méridienne.
Le col du Télégraphe est négocié
au pas de course, nonobstant les plaquettes de fixation
fixées sous mes cyclistes. Le temps urge,
une vraie purge ! No comment quant
aux efforts requis pour maintenir la pression. Qui dit
stress, dit anti-blues (du
businessman).
Tout à coup, un cycliste amateur, sorti du diable
vauvert, arrive à ma hauteur, le nez plongé dans le
guidon. Je gesticule. Il s’arrête ! Je lui expose la
situation. Il comprend ! Me regarde avec des yeux
larmoyants d’un basset hound ! Et puis, soudain sous
l’emprise d’un culot monstre, je le somme littéralement
de pousser mon équipage jusqu’au sommet du col. Il …
Incroyable mais vrai, le gars obtempère ! Figurez-vous
qu’il s’est exécuté jusqu’à 500 m du sommet. Quand il
m’a largué, sa bobine ressemblait à une aubergine prête
à éclater. À la limite de l’apoplexie ! Moi aussi,
j’étais rouge comme un coquelicot ! À la différence,
ma pomme c’était de confusion ! Hélas, ce n’était pas le
moment de s’égarer dans les conjectures. Une demi-heure
plus tard, je pousse le portail des Établissements
Vuillard "Taxi-Cycles-Machines agricoles".
Saint-Michel de Maurienne.
En réalité, les "Établissements" ressemblent davantage à
un bazar bordélique qu’à un atelier de mécanique. Les
outils sont éparpillés pêle-mêle sur les établis
mélangés avec un tas de pièces hétéroclites. J’expose
mon souci au maître de céans qui, sans piper mot,
détache la roue, la fixe dans l’étau et charcute la roue
libre, a grands coups de marteau tête ronde avec la
fougue d'un équarisseur en pétard. Le mécano remplace
aussi la chaîne puisque les pignons en titane vont à la
poubelle. Des sosies issus de l’âge du fer prennent la
relève.
Comme il en termine avec mon vélo, un jeune Anglais se
présente pour des raisons de braquet. Lui aussi ! Je
comprends aussitôt pourquoi le fils Vuillard a le tour
de main pour ce genre d’intervention. Sans demander mon
reste, je m’empresse de rejoindre l’escale de St Jean de
Maurienne. Sous une pluie dantesque. Avec
une pèlerine voltigeuse qui m'en fait voir de toutes les
couleurs. À l’époque, comme l’autoroute de la Maurienne
n’était pas encore construite, la nationale, voie
incontournable, n’était pas un cadeau pour le cycliste.
Saint Jean de Maurienne
(546 m). Une heure plus tard, je remplis ma fiche
d’hôtel et vu que j’arrive mars en carême, je me tape la
cloche (sans
le bourdon)
pour fêter le redressement d'un désastre évité de
justesse. Curieusement, pendant ce très long moment
de tension, mon genou ne s’était pas manifesté. Du
moins, je n’en ai aucune souvenance ! Ce qui revient à
dire que je situe mal le moindre mal ? Qu’est-ce qui
est moindre ? Qu’est-ce qui est pire ? Qu’est-ce que
le moindre pire ? Faut-il en pleurer ou en rire ? Beau
sujet de dissertation !
Le mahomet cogne et chauffe
désormais la Maurienne à bloc. Tudieu, qu’est-ce qu’il
tape dur quand il y met un peu de bonne volonté !
S’agit de glisser une feuille de chou sous la gapette si
je tiens à garder la tête froide ! Un coup de soleil
sur le citron serait dommage maintenant que le mental et
la forme sont revenus. Où vais-je faire la sieste ?
Comme mon objectif est de bouffer du col plus que de
raison, je boycotte la position horizontale en chambre
autant que la fraîcheur de la cathédrale et celle du
palais épiscopal. Je préfère digérer en extérieur et
je repars comme en quarante à l’assaut des flancs du
col du Mollard via la
vallée de L’Arvan. La pente est progressive, et comme
mon vélo a retrouvé sa taille mannequin (sans
bagages pour ceux qui
viennent de me rejoindre à
l’instant !),
je fume la pipe ! Je me sens bien ! Très bien même !
Me voilà en route fier comme un bar-tabac ! Je
remonte la route de "l’Opinel", bien avant qu’elle n’ait
été portée sur les fonts baptismaux de la cathédrale
Saint-Jean-Baptiste par O.T.
Dès le premier lacet, juste après le pont de Gévoudaz,
se dresse l’ancienne usine de Joseph Opinel, la
bâtisse où il fabriqua les couteaux de 1901 à 1915. Tous ces
détails, je les ai glanés bien plus tard au moment de la
rédaction du récit. Tranquille comme Baptiste, c’est
avec sérénité que j’entame la pente qui se raidit et se
contorsionne sur 10 km pour accéder sur la Place Opinel
d’Albieux-le-Vieux.
Le col est la porte d’entrée du hameau du "Mollard",
c’est-à-dire la partie haute du village d’Albiez-Montrond.
Magnifique point de vue sur les Aiguilles d’Arves.
Quant au petit lac sommital, je le loupe par
précipitation et par méconnaissance. Aucune importance,
je suis ici pour boulotter du col et pas pour kodaker.
Au sommet, je bascule vers le Pont de Belleville, situé
6 km plus bas à 1227 m d’altitude.
Retour d’où je viens, ça m’évite toute surprise ! Elimination des autres accès pour St Jean de Maurienne. Cette étape particulière finissait en
apothéose et comme tout baigne, c’est la seule chose qui
importe. Vélo et genou, mes deux soucis majeurs, se sont
discrètement volatilisés dans la nature. Le coup
de fil
avec Dulcinea s’est passé comme prévu. Tout est OK !
Que demander de plus ?
Après la collation du soir, je ne m’attarde pas et
m’empresse de rejoindre le royaume de l’étoile du Berger
tout en ayant une pensée pour Marie-Madeleine, ma future
conquête du lendemain matin.
"En 1565, le roi de France Charles IX ordonne que chaque
maître coutelier appose un emblème sur ses fabrications
pour en garantir l’origine et la qualité. En 1909,
respectant cette tradition, Joseph Opinel choisit pour
emblème La Main Couronnée. La main bénissante est celle
de Saint Jean-Baptiste figurant sur les armoiries de
Saint Jean-de-Maurienne, la ville la plus proche d’Albieux-le-Vieux,
berceau de la famille Opinel. Joseph Opinel ajoute une
couronne pour rappeler que la Savoie est un duché.
Depuis, toutes les lames des couteaux et outils Opinel
sont poinçonnées de la Main Couronnée."
(source :
https://www.club-50plus.fr/blogs/article/opinel-une-histoire-savoyarde-63974.html)
"Je n’oublie jamais de cuver
mon encre !
Mr. Blanc de Blanc
5. Pleure pas Madeleine, j’arrive !
(Vendredi
08.07.1983)
Itinéraire :
St Jean de Maurienne – Albertville (banlieue) – Serraval
via les cols de la Madeleine et du Tamié.
Départ 8H am – arrivé en début pm à l’Hôtel « La
Tournette »
Distance : 125 km
Dénivelé positif : 2896 m - Dénivelé négatif : 2350 m
cols :
La Madeleine (1995 m) - Le Tamié (907 m) - Les
Essérieux (755 m) - L’Épine (947 m)
Lors de la mise au point de l’itinéraire, l’idée m’était
venue un instant de gravir le col de la
Madeleine via Montvernier et le col de Chaussy. Le
col, qui est considéré par les connaisseurs comme un des
juges de paix les plus intransigeants des Alpes
françaises, m’incite à faire profil bas. Outre,
l’appréciation des pros, le chemin au-delà du col de
Chaussy étant hasardeux, la prudence me suggère de
rester sagement dans les passages balisés. Ainsi dit,
ainsi fait ! L’ascension se fera de La Chambre
(500m), le point de départ traditionnel.
Ciel d'azur,
branle-bas le combat.
Le tintouin rituel du
petit matin m’invite à décamper au plus tôt et très vite
je me retrouve sur la nationale qui mène au pied de
l’épouvantail. Le versant que je me propose de gravir au
départ de la nationale comporte 20 km de montée sèche et
sans à-coups pour 1550 m de dénivelé ce qui correspond
pour un cycliste moyen à un temps de parcours de l’ordre
de deux heures d’effort à 10 km/h de moyenne. Il est
établi qu’un cycliste ordinaire s’élève en moyenne
environ 800 m par heure. Pour ce faire, il doit
éventuellement utiliser des développements autour de 3
m. Dans le cas de la Madeleine, l’adret développe une
pente moyenne de près de 8% avec des tronçons à 10%. En
principe, en ce qui me concerne ça ne devrait pas poser
de souci puisque le plus petit développement dont je
dispose est de 2.55 m (38x28). Par contre, il y a lieu
de rester humble quand on chevauche une monture chargée
comme un mulet et qu’un genou risque de rester en rade à
tout moment ! Je me hâte très lentement. Je dose mes
efforts à l’aune du martyre. Or, comme martyre c’est
pourrir un peu, je temporise mon impétuosité qui est
constamment sur le qui-vive. D’autant plus qu’après la
Madeleine, je ne suis pas au bout de mes peines.
Calmos, je monte en facteur ! Mon temps de parcours
plafonnera à un peu moins de 3 heures. Peut faire
beaucoup mieux ! Surtout si je compare ce temps à celui
de Virenque qui est de 56 minutes. À une différence
majeure près ! Richard cœur de lion tapait dans la
boîte à bonbons alors que je me suis contenté d’eau
claire.
Tout s’émousse avec l’âge ! Hé bé ! Je suis en mesure
de confirmer la véracité de cet adage, preuve à
l’appui. Au moment où j’ai franchi le col de la
Madeleine, son altitude sommitale égalait les 2000 m
d’altitude (cf.
photo).
L’année suivante, lors de mon adhésion au Club des Cent
Cols, le col avait rétréci de 7 m. À tout hasard, ne
serait-ce pas le treizième travail d’Hercule qu’Homère
nous aurait cachotté ? À moins que tu n’aies une
meilleure réponse à proposer ?
Quoi qu’il en soit, le col consacré à Marie Madeleine me
redonne confiance et la longue descente sur la vallée de
l’Isère me fait échouer à Notre-Dame de Briançon
(425 m). En bordure de la rivière, le sort me gratifie
d’un vent de face - (Quelle
plaie !)
-
qui cette fois n’aura aucune incidence sur l’horaire
défini. Ce coup-ci, le bon dieu des cyclos est avec moi
malgré l’intensité de la circulation sur la nationale.
Nonobstant une vitesse de croisière appuyée, je me fais
rattraper par un cycliste déchaîné. Brin de causette
dans le vent ! Quelques mots déterminent mon éphémère
compagnon à me donner un coup de pouce. Le tempo
demeure soutenu. Il me pilote jusqu’à Frontenex
(320 m) c’est-à-dire au pied du col du Tamié, la
grimpette suivante. Une amusette ! Exit le massif de
la Vanoise, bonjour les Bauges, une montagne
apprivoisée. Un biotope recherché par les bénédictins
qui y installèrent leurs abbayes, monastères, prieurés.
En l’occurrence, l’abbaye de Notre-Dame du Tamié, située
aux confins de la Savoie et la Haute-Savoie, qui produit
du Reblochon. Comme mes dispositions contemplatives se
perdent au fur et à mesure que mes bielles retrouvent
leur harmonie, je remets mon passage au collet du Tamié
(958 m) et la visite de l’abbaye au jour où les poules
auront des dents. Vingt minutes plus tard, je traverse
comme un bolide la large vallée de Faverges (472 m).
Une parenthèse. Un regret. Celui d’avoir loupé à deux
reprises, à trente ans d’intervalle, l’ascension du col
de la Forclaz de Montmin. Dixit les brochures
touristiques, le col de la Forclaz, qui culmine à 1150
m, est l’un des plus beaux cols savoyards avec des
points de vue incomparables sur le lac d’Annecy, les
Bauges, la pointe Duingt, La Tournette (2351 m) et même
le Jura.
Afin de
satisfaire votre curiosité, je vous renvoie
aux commentaires de Joris Lesueur qui se
découvrent sur son blog :
www.alpes4ever.com/
Trois kilomètres de répit entre Faverges et Saint
Férréol pour remonter le murmure du filet d’eau
de la Chaise. La route, silencieuse à souhait,
s’infiltre paisiblement dans un paysage champêtre, boisé
et aéré. Le temps d’accrocher le petit col des
Essérieux, un col de 3me catégorie et je me retrouve
dans le village de Serraval (760 m) où j’ai
réservé une chambre à l’hôtel de la Tournette. La roue
tourne, le temps tourne. Aujourd’hui, le relais s’est
transformé en résidence privée "Les Ancolys" qui
s’occupe de biens immobiliers. Dommage pour les
randonneurs, c’était un établissement impec et bien
situé !
Quant à moi, je décide d’apothéoser la journée sur une
note pastorale et je m’en vais musarder sur les pentes
avenantes du col de l’Épine qui passe sous le
Mont Charvin(2409 m). Un petit bonus qui ponctue
l’étape ! Promenade pédestre avant le repas du soir
alors que Phébus se retire sur la pointe des pieds
abandonnant des traînées de feu sur la cime de La
Tournette.
Soirée cool !
"C’est dans l’effort que l’on trouve la satisfaction et
non dans la réussite"
Gandhi
6 .Remouille-moi la compresse !
(Samedi
09.07.1983)
Itinéraire :
Serraval – La Clusaz – Cluses – Les Gets
Départ 7H30 am
Distance : 100 km
Dénivelé positif : 2872 m - Dénivelé négative : 2455 m
Cols :
Le Marais (837 m) - Le Plan Bois (1299 m) - La Croix-Fry
(1467 m) - Le Merdassier (1500 m) - La Colombière (1613
m) - Col de Châtillon (738 m) - Col des Gets (1163 m)
J’ouvre un œil. L’astre du jour s’ingénie à dessiner des arabesques sur
le mur du chalet voisin. Une belle journée en
perspective! Je saute du lit. Après les
moult avatars des jours précédents, puisse l'ultime
étape du périple transcender le numéro en morceau
d'anthologie ! Après une
première traversée des Aravis sous la flotte, quel
cadeau d’y repasser sous la caresse des rayons de
soleil. Une centaine de bornes à mouliner dans une
région aux paysages sublimes avec un plan B en poche
pour toute sécurité ! Tout au plus 6 heures de route.
Je vois la vie en rose, en jaune ! En bleu, blanc et à
pois rouge !
Go, go, go ! En selle pour en découdre avec les sept
derniers cols avant de recevoir la bise de ma miss
gêtoise. Me hâtant lentement, je fais l’impasse sur le
p’tit déj’. Errare hu… Cette fois, c’est too much !
Ça devient trop con à la longue ce genre de fantaisie
cucul la praline !
Le décor est toujours aussi bucolique avec une vue
imprenable sur la Tournette.
La veille, je m’étais imposé une minutieuse lecture de
carte pour épingler le col du Plan Bois, qui à l’époque
ne faisait pas courir les amateurs de bosses. Étant
donné que j’avais loupé deux grimpettes le jour
précédent, je redouble d’attention et la descente se
fait avec les yeux d’Argus, un œil sur le compteur
kilométrique, un autre sur la route et un troisième
scotché sur mon radar interne. Le GPS n’est toujours
pas commercialisé (désolé,
c’est une redite !).
Vous n’êtes pas sans savoir qu’à l’époque le système de
navigation par satellite relevait exclusivement du
domaine militaire. Je quitte la départementale après le col du Marais pour une voie secondaire
tortueuse qui me mène à Manigod via le col du
Plan Bois et le Plan des Berthats. Indépendamment
de ma volonté, l’aventure m’y conduit par le versant le
plus pentu, qui a fait l’étude d’une étude
circonstanciée (cf.
www.alpes4ever.com).
Détail sans importance puisque j’avais retrouvé le coup
de pédale de mes beaux jours. Mon carnet de route passe
le col de la Croix Fry sous silence tant du point
de vue aiguillage que déclivité, excepté une mention
concernant la facilité d’accès au col du Merdassier.
Mon humeur est au beau fixe, je sens que je tiens le bon
bout.
Une bonne demi-heure plus tard, j’entre dans La
Clusaz, une station de ski à la mode grâce à Guy
Périllat, une légende du ski dont j’avais suivi
autrefois les prouesses. Encore un dernier répit
jusqu’à Saint-Jean-de-Sixt avant de gravir le plat de
résistance de la journée. À hauteur du Grand-Bornand,
je réalise soudain que, j’ai omis d’ajuster
régulièrement mon altimètre-baromètre en fonction des
altitudes géographiques officielles. Quelle
erreur! (Les chiffres seront remis à jour plus tard !)
En attendant, je mouline allègrement sur les pentes
méridionales du col de la Colombière. Environ 700 m de
dénivellation à gravir en moins de 13 km soit une pente
moyenne de 5.5%, telle est l’équation à négocier.
Vraiment pas de quoi en faire un fromage ! Loin de la
foule, ça roule ma poule ! Sur la route de Chinaillon,
à la sortie d’un lacet, j’aperçois un couple de
cyclistes qui monte à la papa. Effet immédiat ! J’ai
les pupilles et les bronches qui se dilatent, ma
pression artérielle augmente et m’arc-boutant,
j’enclenche le turbo et fonds sur le couple comme un
pèlerin sur une créature du Bon Dieu. Du coup, j’en
oublie d’admirer le magnifique panorama sur les Chaînes
du Bargy et des Aravis.
"Exit
! Mercure sur sa roue ailée ! Vive le prédateur de la Colombière ! Je les dépasse. Les déborde sans un
salut.
Que dis-je, je les survole sèchement comme un pet sur
une toile cirée. "Chasse mon naturel à coups de pied,
il revient toujours au galop !", d’autant que les
remugles d’écurie se précisent vachement. Quatre
kilomètres plus loin, rebelote. C’est au tour d’un
cyclotouriste de se faire remonter. J'écrase les pédales
a m'en faire péter les varices. Je trace comme un
aigle royal ! À peine suis-je parvenu au sommet du col,
qu’un couple de Bataves, médusé par ma fulgurance, vient
à ma rencontre et me mouille la compresse pour ma
mirobolante
exhibition.
« Dites-donc, est-ce que vous ne vous êtes pas trompé de
peloton ? Le Tour de France ne passe que par ici dans 8
jours !! Vous avez pris une sacrée avance. Quoique
cela ne nous étonne pas vu l’allure à laquelle vous avez
grimpé le col, les autres doivent encore être sur la
ligne de départ. »
Quel éloge ! Et encore, j’ai du
bol que ces braves gens ne soient pas des Méridionaux
sinon ils auraient embrayé sûrement à la mode d’Edmond
Rostand sur une tirade homérique. Tu sais quoi ? Non,
dis moi ! Mon style, pardi ! Si, si ! (
Mes hommages, Majesté!) Place à l’expression
d’un art abouti qui n'a rien a voir avec le charabia que
je donne en pâture ! Oh que non ! c'est de mon profil "
Deus ex machina " dont il est question, sire !
Bof ! me direz-vous. On en a rien à cirer. Ah non,
c’est un peu court, les aminches ! Vous auriez pu dire
… Ôdieux (Ô
Dieux!)
…bien des choses en somme…En variant le ton, - par
exemple, tenez et accrochez-vous :
En bien tout honneur,
Dithyrambique
comme Ferdi Kübler
alias Cyrano pour son bel appendice : « Sportif du
Siècle » en Suisse, il avait la répartie facile et, à la
mise en garde du Ventoux par Geminiani, il répondit du
tac au tac « Ferdi non plus,
pas coureur comme les autres ». Dès qu’on vous a
vu, on s’est dit, ça n’est vraiment pas un cyclotouriste
comme les autres.
Aérien
comme Charly Gaul :
nous avons cru voir un extraterrestre, un Ange de la
montagne qui s’envolait sur des coussins d’air.
Farceur
comme Roger Hassenforder :
Roger le Fou formula un jour l’inoubliable
vanne : « Des Bobet, j’en
avais un dans chaque jambe ». Pour vous, on
penche pour des Coppi, ça vous va davantage ! !
Agile
comme Lucien Van Impe :
c’est pas tous les jours qu’on voit un Ouistiti des
Cimes escalader des pédales !
Combatif
comme Eddy Merckx :
un instant, on s’est vu projeter sur la route du Tour
lorsque le Cannibale rafla tous les maillots
distinctifs. Tous les prix. Toutes les coupes. Toutes
les breloques. On arrête ici le soliloque sinon vous
allez croire que vous êtes touché par la grâce
merckxveilleuse !
Gouailleur
comme Jean Robic :
Biquet, qui ne reculait devant aucune gasconnade
affirmait « J’accroche une
remorque à mon vélo, j’y mets ma belle-mère et j’arrive
encore premier en haut du col ». Quant
a vous, dix contre un que vous l'auriez fait
avec un éléphant sur le porte-bagages !
Campagnard
comme Raymond Poulidor
car quand vous branchez les cornes, vous renvoyez
vos congénères à la campagne pour une partie de chasse
aux papillons. Impossible d’être plus Poupoulaire !
Racé
comme Fausto Coppi :
Quelle spectacle votre numéro, vous êtes un
Campionissimo craché !
Ailé
comme Federico Bahamontès :
quel bonheur, à c’t’heure ! Le nouvel Aigle de Tolède
est arrivé !
Appliqué
comme Louison Bobet :
« On n’abandonne pas au bas
d’un col » déclarait Louison, le triple
vainqueur du Tour de France.» Bof ! Une assertion qui
ne vous concerne pas puisque vous voyez la vie d’en
haut.
Acrobate
comme Peter Sagan :
magistral, votre numéro de
Free Wheel sur la fin du col ! Une exhibition
digne du Tourminator !
Fidèle
comme Gino Bartali
dit le Pieux : kif un deus ex machina,
vous donniez l’impression de déposer vos hommages aux
pieds de la Petite Reine.
Gracieux
comme Hugo Koblet : quel
plaisir de vous voir pédaler ! Vraiment vous avez tous
les atouts pour remplacer le Pédaleur de Charme !
Véloce
comme Mark Cavendish : est-ce
un rêve ? Il nous semble avoir entendu le double bang du
mur du son lorsque vous avez placé l’accélération
Cannonbal dans la dernière ligne droite.
Hâbleur
comme Raphaël Geminiani
dit le Grand Fusil : « Si
tu veux mourir sur ton vélo, alors meurs devant, mais
pas derrière » proférait-il. Pure jactance ou
prophétie ? L’avenir nous l’apprendra !
Super Propre
… … … ce qui n’est pas le cas de Richard Cœur de
Lion , ni du Pirate
Ni toutes ces épithètes qui triquent et font la nique
comme
Machiavélique, sarcastique, antipathique, caustique et
chiatique,
les 5 piliers de la foi du Boss,le Ricain quand il clamait
à cor et sans cric
« l’impossibilité de gagner un Tour de France sans
dopage ». Quant à vous, cher Grand Maître
du Columbarium, vous êtes bien
au-dessus de ces médiocrités puisque vous êtes le
spécialiste du tout-à -l’eau-claire.
Quel champion peut en dire autant ? Ne cherchez pas,
vous perdez votre temps !
Comme je fais roue libre sur le plan de la pensée, rien
de plus simple que de tartiner recto verso la tirade
tout en ayant les orteils en bouquet de violettes mais
encore … rien de plus minable qu'une compresse trop
mouillée ! J’arrête mon char ! Je
sens que vous gonfle avec mes salades !
Par conséquent après ce brillant éloge, j’en suis
toujours à me demander pourquoi mon nom n’est pas repris
dans le temple du Hall of Fame sous
l’étiquette "L’incorruptible
Mr. Blanc de Blanc ".
Bref ! Le compliment eut l’heur de booster mon ego ! À
tel point d’en oublier de biberonner et de prendre des
forces. Descente sur Cluses (480 m), la capitale
du Faucigny qui se blottit dans la vallée de l’Arve. La
cité, connue pour son horlogerie, ne scotche pas mon
attention et la traversée se fait à tombeau ouvert.
Moins de 3 km en amont, à hauteur du lacet du Clos d’Aulps,
je me retrouve parqué comme Mathieu VDP (le
petit-fils de Poupou !)
lors du dernier championnat du monde cycliste en
Angleterre. La fringale m’a rattrapée. J’ai
l’estomac calé au fond des talons. Il eût mieux
valu avoir l’étalon dans l’estomac comme disait le papa de Zazie
. Les deux tartiflettes englouties un peu
plus tôt ne font aucun effet ! N’y a plus qu’à aller
aux fraises ! Et me v’là en train de ratisser le
bas-côté de la route à la recherche de petites baies
rouges ! Chemin faisant, je rêve d’une "Venta alpine"
perchée au sommet du col de Châtillon-sur-Cluses !
Hélas, ne me demandez pas si c’est du lard ou du cochon,
ma mémoire fait relâche à ce propos !
Courte descente sur Taninges (610 m) et ultime
montée au col des Gets. Le baroud du bonheur !
Les derniers 540 m de dénivelé à franchir en 12 km kif
le Télégraphe. À la différence près, c’est qu’ici je
termine en fumant la pipe. Sans être un exploit hors du
commun, le périple aura néanmoins été une entreprise
musclée qui exigea un mental solide.
Évasion, émotions, Grand Frisson !
"Les meilleurs moments de la vie, c’est quand on est
tout seul"
Pierre Dac
Sprint Final
Un amateur éclairé de la Savoie aura observé que bien
des symboles qui font la poésie de la région ont été
éludés tels que tarine, clarine, reblochon, lis
martagon, gentiane, clocheton à bulbe, tome, Beaufortin,
tartiflette, Aravis, etc. Autant d’emblèmes nécessaires
pour une bonne évocation de la Savoie.
Toutefois, je rappelle que le but de la randonnée
revêtait un caractère exclusivement sportif faisant fi
du point de vue contemplatif. Emmagasiner des images
n’était pas à l’ordre du jour !
D’autre part, un grand nombre de sportifs diront que
cette randonnée ne casse pas trois pattes à un canard.
Tout à fait d’accord ! Mais comme tout est relatif, ce
qui est aisé pour l’un ne l’est pas pour un autre. La
cure de santé de Pierre devient calvaire pour Jacques
alors que la partie de plaisir de Paul signifie une
descente aux enfers pour Pierre. Au diable la
discutaillerie pour une simple et bonne raison !
Finalement, ce ne fut pas le défi le plus difficile mais
bien la
montagne de débrouille que le plouc à deux mains gauches
à dû déployer pour éviter le naufrage d’une part, et par
ailleurs, les violents maux de genou assujettis à des
moments de délabrement interne qu’il lui a fallu
surmonter, sans aucun soutien, aux moments les plus
sensibles du périple. Sans compter la bise (de
Judas)
qui soufflait en permanence de face ! Quid la
panacée ?
La formule gagnante :
« Ne vous occupez pas d’autrui, faites-vous plaisir
comme bon vous semble »
« Le silence est un beau langage »
S-A
Printemps 2020
(d’après mes notes de 1983)
Chronique rédigée le 05 mai 2020
43me
jour de confinement provoqué par la pandémie du
Coronavirus COVID-19
Décès sur la Terre : 252 000 Contaminés :
3 580 000
Décès en Belgique : 8 016
Contaminés : 50
509