José Bruffaerts       Ecrivain Public

 

 

Le Guidon et la Plume

 
 

 

          « Il y a autant de cyclotourismes que de cyclotouristes : chacun a une foule de bonnes raisons de se promener sur une bicyclette ».  Dommage que Paul Fournel, l’auteur de cette belle pensée, ne puisse en dire autant à propos de la littérature qui y gravite autour et à l’alentour. Allez, zou !  Ouvrons la boîte à Pandore !  Il en restera toujours un soupçon d’espoir.

En toute première instance, il y a lieu de faire la distinction entre  le cyclisme de plaisance et le vélo utilisé comme véhicule au même titre que les autres moyens de locomotion tels que le train, l’automobile, le tram, la moto, le vélo moteur, etc.  Inutile de rappeler que la majorité écrasante des cyclistes est constituée par les usagers de la route de la deuxième catégorie. Même si ceux-ci se paient journellement des entrefilets dans la presse, c’est malheureusement sous la peu flatteuse rubrique qu’on appelle communément la chronique des chiens écrasés.  Tristes échos, carnet cyclo-mondain macabre, faits divers lugubres.  En bref, des nouvelles très peu propices à susciter un enthousiasme pour le vélo « loisir ».  Ecartons cette funeste prose et abordons d’un peu plus près la première catégorie.  Celle du cyclisme de plaisance.

Promeneur, touriste ou cyclo-randonneur ?  A chacun son étiquette.  Toute la problématique se trouve résumée en ces quelques mots. 

Il y a des cyclistes qu'il est malaisé de définir d'un seul trait.  Ce sont ceux qu'on a l'habitude d'appeler les promeneurs du dimanche.  Ces cyclotouristes sont des gens ordinaires qui ne s'encombrent pas d'agenda ni de calendrier.  Ils s'offrent une balade à vélo quand le temps est au beau.  Quand tout d'un coup, ils ont envie  de prendre l'air.  A vélo.  Ces gens-là constituent en fait la masse silencieuse de la gent  de la joyeuse pédale.  Honni soit  celui qui ne pense qu’à s’éclater gaiement !  (Autant mettre les pendules à l’heure car il traîne toujours  un zig qui est plus catholique que le pape).  Ces cyclistes-là, on les rencontre par dizaines, par centaines un peu partout.  Dans ce registre, la province du Limbourg  obtient une cote d'excellence dans notre Belgitude bien que d'autres pays excellent autant dans le même domaine.  Ainsi, ne vous étonnez pas de croiser par beau temps des milliers de promeneurs à vélo en bordure de la Forêt Noire, etc.  Excepté les prospectus touristiques émanant des instances communales ou  provinciales qui mettent en exergue les coins pittoresques d’une région, il est rarissime que les revues commerciales s’attardent à cette catégorie de cyclistes.  Normal puisqu'il n'y a pas d'oseille à gagner !   Par contre, ils alimentent surtout les beaux jours de la rubrique des « chiens écrasés ».

Une deuxième espèce de cyclistes qui  tient à l’anonymat, ce sont les touristes.  En général, ce sont  les accros du dimanche.  Des promeneurs sportifs en général et des flingueurs, à l’occasion.  Des accros du vélo qui, la plupart du temps, se regroupent dans un club, dans une association.  Ils s'apparentent à nos gens ordinaires du groupe « promeneur » mais avec des nuances toutefois.  A la touche de vie associative, ils ajoutent une note personnelle qui se traduit par un objectif précis à atteindre dans l’année  tout en restant effacé.  Evoluant dans l'ombre de la vie fédérale.  La plupart de ces personnages préfèrent se cantonner dans un rôle qui ne recherche aucune reconnaissance  ni aucune gloriole.  Ils en ont rien à cirer de la médaillite.  Donc, comme ils ne font pas la "une" des magazines,  ni ne cartonne en tête des classements, ils ne  constituent donc pas  un chaînon indispensable pour une revue : laissez-les de côté et vous ne nuirez pas à la survie d'un bulletin. En effet, rien n’est plus fâcheux que d'être animé que d’une  motivation  discrète, de faire preuve d’un esprit grégaire, d’ignorer les challenges au long cours, de tourner autour du clocher du village,  de refuser la précarité de l’aventure et de ne se sentir aucune aptitude spéciale à sortir du rang, être décidément "comme tout le monde".  Ces cyclos sont motivés, mais pas au point de négliger leurs autres activités.  Ils ont adopté le grégarisme uniquement par souci de facilité. Un petit challenge à la rigueur mais pas question d’exploit qui fasse appel à de l’opiniâtreté, à de l’agressivité dans l’effort.  C’est bien trop fastidieux !  Quant à partir à l’aventure, c’est bien trop risqué ! Mais bon dieu de bon sang, pourquoi vouloir sortir du rang à tout prix ?  Non ! c’est décidément pas leur truc. Résultat des courses : « Peu de fortes sensations, donc …rien à publier ».  C’est dommage !  Eh ! Oui !  Il est plus que certain que chaque sortie, même anodine, a son lot d’anecdotes qui mérite d’être relaté par écrit.
Mais que peut-on bien écrire sur une courte balade ?  Rien qui ne vaille la peine sauf si le cyclo est doté d’une imagination fertile,  débordante, voire délirante.  Vrai ou faux ?  Au lecteur de juger !  Pour ma part, il suffit de vouloir raconter une histoire ! L’inspiration coule de source.
« Vingt kilomètres en vélo donne naissance à une page ; une réflexion lue appelle une réponse de deux pages ; d’une ascension naît un poème, d’un voyage itinérant jaillit un dossier… » (sic)  Ces louanges adressées jadis à un  grattouilleur de papier prouvent qu’avec un peu de bonne volonté, c’est moins difficile qu’on le pense de commenter une aventure !  N’est-ce pas  Arthur !
Les échotiers et les chroniqueurs s'efforcent la plupart du temps de peindre ce que dans le jargon nous appelons les super randonneurs,  les locomotives. Ce sont des cyclos « ordinaires » trempés dans un alliage inaltérable fait d’un besoin de se surpasser tout en restant lucide.  Ils ne dérogent jamais à une formule qui est devenue leur leitmotiv : « En garder toujours sous la pédale ; ne jamais se  mettre dans le rouge ».
Pour cela, ils  appliquent à la lettre les préceptes des anciens, en l’occurrence la devise de Socrate.

A cette catégorie, on peut assimiler les globe-trotters qui, quoique poursuivant des buts totalement différents, soient confrontés aux mêmes réalités que le randonneur c'est à dire qu'ils s'exposent aux périls de l'insécurité, aux aléas de l'aventure et aux joies de la découverte.  Autant de sujets inépuisables pour reporter puisque les intéressés font preuve d'audace.  En permanence à l'affût de nouvelles rencontres, ils veulent encore et toujours s'enrichir des cultures inconnues.  Ils utilisent le vélo non seulement parce que ce moyen de transport est économique mais surtout parce que sa lenteur relative permet de prendre son temps, d'entrer plus facilement en contact avec d'autres civilisations.  L’effort physique permet, dans ce cas-ci, aux impressions de se graver plus profondément dans la mémoire.  Cependant pour s'embarquer dans une telle aventure, il faut faire une croix sur son petit confort et être complètement libre.  Or,  comme tous les employeurs et toutes les dulcinées ne sont pas prêts à accorder un congé d’un an sans solde, autant dire que les globe-trotters ne sont pas légion. Par contre quelle aubaine pour les auteurs !  Quant aux super randonneurs, ils ont eux aussi toujours quelque chose à raconter.  Autre aspect étonnant des irréductibles de la petite reine ;  il se trouve toujours un compagnon plumitif pour relater en détail les péripéties de la randonnée.

Toutefois, nous n'avons pas résolu la question : que doit faire un auteur avec les "personnages ordinaires", pour les rendre un tant soit peu intéressants au lecteur ? Remplir les récits des seuls personnages typiques ou, pour donner du coloris, inventer des péripéties n'ayant jamais existé, aboutirait à rendre les histoires invraisemblables et je crois même ennuyeuses.  A mon avis, il faut s'efforcer de découvrir des nuances intéressantes et suggestives même parmi les cyclotouristes dénués de toute prétention.  Voilà au moins un challenge sans précédent !


Hiver 2004

 

bruffaertsjo@skynet.be

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