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« Il y a autant de cyclotourismes que de cyclotouristes :
chacun a une foule de bonnes raisons de se promener sur une
bicyclette ». Dommage que Paul Fournel, l’auteur de cette
belle pensée, ne puisse en dire autant à propos de la
littérature qui y gravite autour et à l’alentour. Allez,
zou ! Ouvrons la boîte à Pandore ! Il en restera toujours
un soupçon d’espoir.
En toute première instance, il y a lieu de faire la
distinction entre le cyclisme de plaisance et le vélo
utilisé comme véhicule au même titre que les autres moyens
de locomotion tels que le train, l’automobile, le tram, la
moto, le vélo moteur, etc. Inutile de rappeler que la
majorité écrasante des cyclistes est constituée par les
usagers de la route de la deuxième catégorie. Même si
ceux-ci se paient journellement des entrefilets dans la
presse, c’est malheureusement sous la peu flatteuse rubrique
qu’on appelle communément la chronique des chiens écrasés.
Tristes échos, carnet cyclo-mondain macabre, faits divers
lugubres. En bref, des nouvelles très peu propices à
susciter un enthousiasme pour le vélo « loisir ». Ecartons
cette funeste prose et abordons d’un peu plus près la
première catégorie. Celle du cyclisme de plaisance.
Promeneur, touriste ou cyclo-randonneur ? A
chacun son étiquette. Toute la problématique se trouve
résumée en ces quelques mots.
Il y a des cyclistes qu'il est malaisé de
définir d'un seul trait. Ce sont ceux qu'on a l'habitude
d'appeler les promeneurs du dimanche. Ces cyclotouristes
sont des gens ordinaires qui ne s'encombrent pas d'agenda ni
de calendrier. Ils s'offrent une balade à vélo quand le
temps est au beau. Quand tout d'un coup, ils ont envie de
prendre l'air. A vélo. Ces gens-là constituent en fait la
masse silencieuse de la gent de la joyeuse pédale. Honni
soit celui qui ne pense qu’à s’éclater gaiement !
(Autant mettre les pendules à l’heure car il traîne
toujours un zig qui est plus catholique que le pape).
Ces cyclistes-là, on les rencontre par dizaines, par
centaines un peu partout. Dans ce registre, la province du
Limbourg obtient une cote d'excellence dans notre Belgitude
bien que d'autres pays excellent autant dans le même
domaine. Ainsi, ne vous étonnez pas de croiser par beau
temps des milliers de promeneurs à vélo en bordure de la
Forêt Noire, etc. Excepté les prospectus touristiques
émanant des instances communales ou provinciales qui
mettent en exergue les coins pittoresques d’une région, il
est rarissime que les revues commerciales s’attardent à
cette catégorie de cyclistes. Normal puisqu'il n'y a pas
d'oseille à gagner ! Par contre, ils
alimentent surtout les beaux jours de la rubrique des
« chiens écrasés ».
Une deuxième espèce de cyclistes qui tient à
l’anonymat, ce sont les touristes. En général, ce sont les
accros du dimanche. Des promeneurs sportifs en général et
des flingueurs, à l’occasion. Des accros du vélo qui, la
plupart du temps, se regroupent dans un club, dans une
association. Ils s'apparentent à nos gens ordinaires du
groupe « promeneur » mais avec des nuances toutefois. A la
touche de vie associative, ils ajoutent une note personnelle
qui se traduit par un objectif précis à atteindre dans
l’année tout en restant effacé. Evoluant dans l'ombre de
la vie fédérale. La plupart de ces personnages préfèrent se
cantonner dans un rôle qui ne recherche aucune
reconnaissance ni aucune gloriole. Ils en ont rien à cirer
de la médaillite. Donc, comme ils ne font pas la "une"
des magazines, ni ne cartonne en tête des classements, ils
ne constituent donc pas un chaînon indispensable pour une
revue : laissez-les de côté et vous ne nuirez pas à la
survie d'un bulletin. En effet, rien n’est plus fâcheux que
d'être animé que d’une motivation discrète, de faire
preuve d’un esprit grégaire, d’ignorer les challenges au
long cours, de tourner autour du clocher du village, de
refuser la précarité de l’aventure et de ne se sentir aucune
aptitude spéciale à sortir du rang, être décidément "comme
tout le monde". Ces cyclos sont motivés, mais pas au point
de négliger leurs autres activités. Ils ont adopté le
grégarisme uniquement par souci de facilité. Un petit
challenge à la rigueur mais pas question d’exploit qui fasse
appel à de l’opiniâtreté, à de l’agressivité dans l’effort.
C’est bien trop fastidieux ! Quant à partir à l’aventure,
c’est bien trop risqué ! Mais bon dieu de bon sang, pourquoi
vouloir sortir du rang à tout prix ? Non ! c’est décidément
pas leur truc. Résultat des courses : « Peu de fortes
sensations, donc …rien à publier ». C’est dommage ! Eh !
Oui ! Il est plus que certain que chaque sortie, même
anodine, a son lot d’anecdotes qui mérite d’être relaté par
écrit.
Mais que peut-on bien écrire sur une courte balade ? Rien
qui ne vaille la peine sauf si le cyclo est doté d’une
imagination fertile, débordante, voire délirante. Vrai ou
faux ? Au lecteur de juger ! Pour ma part, il suffit de
vouloir raconter une histoire ! L’inspiration coule de
source.
« Vingt kilomètres en vélo donne naissance à une page ; une
réflexion lue appelle une réponse de deux pages ; d’une
ascension naît un poème, d’un voyage itinérant jaillit un
dossier… » (sic) Ces louanges adressées jadis à un
grattouilleur de papier prouvent qu’avec un peu de bonne
volonté, c’est moins difficile qu’on le pense de commenter
une aventure ! N’est-ce pas Arthur !
Les échotiers et les chroniqueurs s'efforcent la plupart du
temps de peindre ce que dans le jargon nous appelons les
super randonneurs, les locomotives. Ce sont des cyclos
« ordinaires » trempés dans un alliage inaltérable fait d’un
besoin de se surpasser tout en restant lucide. Ils ne
dérogent jamais à une formule qui est devenue leur
leitmotiv : « En garder toujours sous la pédale ; ne jamais
se mettre dans le rouge ».
Pour cela, ils appliquent à la lettre les préceptes des
anciens, en l’occurrence la devise de Socrate.
A cette catégorie, on peut assimiler les globe-trotters qui,
quoique poursuivant des buts totalement différents, soient
confrontés aux mêmes réalités que le randonneur c'est à dire
qu'ils s'exposent aux périls de l'insécurité, aux aléas de
l'aventure et aux joies de la découverte. Autant de sujets
inépuisables pour reporter puisque les intéressés font
preuve d'audace. En permanence à l'affût de nouvelles
rencontres, ils veulent encore et toujours s'enrichir des
cultures inconnues. Ils utilisent le vélo non seulement
parce que ce moyen de transport est économique mais surtout
parce que sa lenteur relative permet de prendre son temps,
d'entrer plus facilement en contact avec d'autres
civilisations. L’effort physique permet, dans ce cas-ci,
aux impressions de se graver plus profondément dans la
mémoire. Cependant pour s'embarquer dans une telle
aventure, il faut faire une croix sur son petit confort et
être complètement libre. Or, comme tous les employeurs et
toutes les dulcinées ne sont pas prêts à accorder un congé
d’un an sans solde, autant dire que les globe-trotters ne
sont pas légion. Par contre quelle aubaine pour les
auteurs ! Quant aux super randonneurs, ils ont eux aussi
toujours quelque chose à raconter. Autre aspect étonnant
des irréductibles de la petite reine ; il se trouve
toujours un compagnon plumitif pour relater en détail les
péripéties de la randonnée.
Toutefois, nous n'avons pas résolu la question : que doit
faire un auteur avec les "personnages ordinaires", pour les
rendre un tant soit peu intéressants au lecteur ? Remplir
les récits des seuls personnages typiques ou, pour donner du
coloris, inventer des péripéties n'ayant jamais existé,
aboutirait à rendre les histoires invraisemblables et je
crois même ennuyeuses. A mon avis, il faut s'efforcer de
découvrir des nuances intéressantes et suggestives même
parmi les cyclotouristes dénués de toute prétention. Voilà
au moins un challenge sans précédent !
Hiver 2004
bruffaertsjo@skynet.be
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