José Bruffaerts       Ecrivain Public

 

 

La Belle Oubliée & la Tête Rousse

 
 

 

 

Jour Ј + 4.
                   Les trois premières étapes s’étaient soldées par des fortunes diverses.  L’agréable découverte des Alpilles s’était échouée aux urgences d’Arles pour raccommoder un gros orteil en charpie (cf. Verser son sang pour une belle arlésienne).  Le lendemain, la traversée de la Camargue m’infligea un supplice atroce en comparaison duquel une séance de brodequins aurait ressemblé à une partie de plaisir.  Quant à la troisième étape qui pénétrait à l’intérieur des terres, le relief nous mit en appétit et prépara gentiment l’escapade prévue dans le Parc National du Haut Languedoc.
Avec, pour une fois, les bagages remisés aux vestiaires.

Ce quatrième jour du voyage itinérant était donc consacré à la découverte du massif de l’Espinouse (la belle Oubliée) et au Caroux (Cap Rousse), qui d’apparence monolithique depuis la plaine littorale, s’érige en un véritable balcon dominant la vaste plaine languedocienne. 

L’Espinouse m’avait tapé dans l’œil depuis longtemps.  Quel réservoir de cols !  A maintes et maintes reprises, je l’avais arpentée sur la Michelin sans parvenir toutefois à en imaginer ses arcanes.
Enfin, en ce jour de la Toussaint, j’allais satisfaire mes fantasmes.  Ce matin-là, les ouailles du curé de Lamalou-les-Bains se retournaient une dernière fois dans leur plumard.  Ils avaient raison car la petite ville thermale reposait sous un épais brouillard.  D’autant plus que le Bon Dieu n’étant pas revanchard, il pardonnerait à coup sûr cet écart. 

Les vélos, qui avaient passé la nuit à la belle étoile dans le jardin de l’hôtel, grincèrent des dents à notre contact.  Dominique enfourcha sa bécane et s’engouffra sans hésitation dans une venelle pentue.  La nuit porte conseil, dit-on !  D’accord mais de là, à ce que son GPS s’enclenchât de manière spontanée, il y avait de la marge.  Bigre !  Plus temps réel que ça, tu déboussoles. 

Comme d’habitude, je mis aussitôt mon braquet d’asthmatique imposant un train de sénateur à mon partenaire.  Ce tricotage jouait en sa défaveur.  Très vite, il dut se rendre à l’évidence qu’il pouvait tracer une croix sur les petits crochets qu’il comptait me gratifier en surprime de l’itinéraire de base.
Il régnait une douceur estivale en ce 1er novembre.  Des coins de ciel bleu perçaient les bancs ouatés au fur et à mesure qu’on hissait nos équipages.  Mi- sylvestre, mi-alpestre, la route serpentait dans une forêt dense de châtaigniers, façonnée en terrasses par les saisonniers de jadis.  Les couleurs chatoyantes m’invitaient à musarder.  Quant à Dominique, il se recyclait en reporter-photographe.  En fait, c’est une autre façon de prendre son pied quand il faut se distraire et attendre son partenaire tous les cents mètres. 

Au col des Princes, la forêt s’étant éclaircie, de vastes échappées se découpaient sur un massif boisé formé d’une multitude de monts dont les sommets lointains se perdaient sous un linceul de brume.  Mètre après mètre, on apprivoisait la sérénité tapie de la montagne.  Bref, tous les critères indispensables se trouvaient réunis pour réaliser le carton inoubliable : soleil, couleurs, calme absolu, pureté de l’environnement, points de vue, et…effort gratuit. 

Les Pouvoirs Publics ont par ailleurs compris que cette région dégage un attrait essentiellement touristique.  Aussi ont-ils crée un parc naturel dans lequel ils ont introduit des espèces animales en voie de disparition.  Des tableaux synoptiques jalonnent la route touristique.  Hélas ! De mouflon, il n’y en eut point.  Ça et là, des chasseurs camouflés n’étaient certainement pas étrangers à l’absence de gibier.  Par contre, pas le moindre ramasseur de cèpes alors que ceux-ci proliféraient sur les bas-côtés de la route comme les boutons d’or. 

A hauteur du col des Avels, la forêt fit place à des prairies d’altitude, des bruyères, des fougères et des genêts.  La nature explosait dans sa parure d’automne.  Un rayon de soleil nous incitait au farniente.  La matinée avançait, le roman-photo aussi.  Quant à la moyenne de croisière, elle cassait la baraque !  Un fracassant 10 km/heure.  De ma vie, je n’avais jamais crapahuté aussi lentement.  Une consolation toutefois !  Nous n’étions qu’à une encablure du balcon de l’Ourtigas, lui-même véritable marchepied du col de l’Espinouse.  A l’horizon, une débauche de landes moutonnait à l’infini scandé par les silhouettes des sommets.  Par une route où de la bosse s’éternisait, on s’échoua dans le village de Murat-s/Vèbre.  A l’heure de vérité.  C'est-à-dire à celle de l’apéro.  Faire l’impasse sur cette opportunité risquait de nous confronter à une traversée du désert.  Or, comme nous n’étions pas abonnés au régime sec, rien ne s’opposait à ce que nous tapions la cloche.  On se paya donc le resto « Durand ».  Hélas !  Ce ne fut pas le meilleur choix.  Pire !  Infecte et c’est un euphémisme.  Dominique renonça à ingurgiter les frites carbonisées qui furent servies sans compliment.  Quant à moi, je briffais du bout des dents quand l’assiette garnie bascula de la table et disparut au plus profond de mon entrejambe.  Mon compte était également réglé.  Quoi qu’il en fût, une remise de prix nous fut accordée par le restaurateur sous forme d’un apéro gratos.  Par inadvertance ou par erreur.  Mais certainement pas en compensation de son infâme mixture.  On s’éclipsa sur la pointe des pieds tout heureux de trouver du réconfort auprès de Phébus qui riait aux éclats. 

Microcosme au cœur du Parc naturel régional du Haut Languedoc, le massif est un carrefour climatique remarquable où se côtoient les influences atlantiques, méditerranéennes et montagnardes qui engendrent au gré des ubacs et des adrets une multitude de microclimats. 

Second objectif du circuit : le « Roc de Montalet » toisant du haut de ses 1259 m ses voisins environnants.  Le top du top de notre escapade.  Dur dur.  Cet épouvantail, quoiqu’il impose le respect et l’humilité, est moins raide que le triple mur de Lustin.  Dominique se fit une joie d’imprimer pour la postérité le rictus d’un adepte du tout à gauche dès qu’il s’agit d’un mont ou d’un col.  Même si la butte ne plafonne qu’à 25 m d’altitude.  D’un autre côté, il faut reconnaître que ma moulinette avait un aspect positif puisqu’elle lui donnait l’occasion de griller sa sèche régulièrement, à heure et à temps.  Je comprends d’ailleurs maintenant son dégoût pour le terrain plat ou vallonné.  Privé de son herbe à Nicot, il se sent tel que Samson avec la boule à zéro. 

Les genêts et les bruyères avaient pris le relais de la forêt sur les hauteurs. 

A la différence de Dominique dont le frein arrière faisait relâche, je dévalai le « Roc » à tombeau ouvert en direction du barrage du lac de Laouzas.  Le handicap de l’avant-midi était pour ainsi dire résorbé.  Aussi puisque le temps ne nous était plus compté, on s’octroya une pause-café à Fraisse-s/Agout.  Comme d’habitude, je fis le plein de Pelforth.  Dominique préféra tanker son traditionnel café crème.  Ma potion magique n’a jamais eu l’heur de le convaincre.  Pourtant sa vitesse de croisière de fin de journée était la plupart du temps inversement proportionnelle à la mienne de la première heure.  Attention !  Il est bon de se méfier parfois des ancêtres qui affichent de temps en temps de beaux restes. 

Dernier coup de reins dans le Caroux.  Des flambées de roux incendiaient les érables et les hêtres des forêts domaniales.  Braqué sur la Méditerranée, le Caroux qui fait partie de l’Espinouse, fleure bon la Corse.  Il constitue l’arrière-pays montagneux de la Côte du Languedoc qu’il faut aborder avec humilité.  Cependant, au lieu de taquiner la muse, je m’appliquai à bouffer du cintre obligeant Dominique à s’accrocher dans l’ascension du col de Fonfroide.  Une, deux, dix fois, il faillit exploser pour garder le contact.  J’emmenais allègrement le braquet.  Or, le brave qui s’était sacrifié tout au long de la journée, ne me tint pas rigueur et s’appliqua à me coller au train.  Un point, c’est tout.  Et peut-être en gardait-il encore sous la pédale !  Que ne fait-on pas pour flatter l’ego d’un pote ! 

Bien que Dame Nature nous ait gâté dès les premières bornes en nous offrant des somptueux panoramas, nous n’étions toujours pas saturés d’images sublimes en cette fin d’après-midi.  Vu du haut du col de Fonfroide, les lacets du col du Poirier valent le coup d’œil.  A découvrir absolument !
Dominique dévala prudemment l’imposante muraille de gneiss qui s’écrase dans la vallée de l’Orb.  Il nous restait à Olargues la curiosité du « Pont du Diable » qu’on se devait de franchir pour conjurer le mauvais œil.
Photo.  Ensuite les ultimes bornes furent parcourues à bride abattue.  Heureusement !  L’hôtel fut atteint à la chute du jour. 

Le 1er novembre restera pour l’éternité un jour marqué d’une pierre blanche.  Les jours suivants aussi.
Après cette magnifique journée ainsi que celle moins glorieuse  de l’orteil déchiré, nous n’étions pas arrivés au bout de nos surprises.  Quarante-huit heures plus tard, il nous faudra essuyer les trombes d’eau qui s’abattront sur les Cévennes et le Gard.  Mais ça, c’est une autre histoire !
 

Itinéraire  

Lamalou-les-Bains (200m) – D 180 – col des Princes (588m) – col de Madale (691m) – col des Avels (803m) – col de la Plane (925m) – col de l’Ourtigas ( 988m) – Pas de la Lauze (976m) – col de l’Espinouse (1100m) – D 622 – Murat-s-Vèbre – col de la Jasse (901m) – Moulin-Mage (836m) – La Trivalle – D 62 – Roc de Montalet (1259m) – Nages – Barrage de Laouzas – col de Frajure (957m) – Fraisse-s-Agout – D 14 – col de Fonfroide (972m) – col du Poirier (602m) – D 908 – Olargues (183m) – Pont du Diable – Lamalou-les-Bains (200m) 

Distance : 107 km    -     Dénivellation : 1990m 

Repérage 

Michelin 83 – pli 3  (Hérault & Tarn) 

Bonne Adresse 

Hôtel du Commerce
34240 – Lamalou-les-Bains
Tél. 00 33 4 67 95 63 14

Novembre 1994

 

bruffaertsjo@skynet.be

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