Jour Ј
+ 4.
Les trois premières étapes s’étaient
soldées par des fortunes diverses. L’agréable découverte
des Alpilles s’était échouée aux urgences d’Arles pour
raccommoder un gros orteil en charpie (cf. Verser son
sang pour une belle arlésienne). Le lendemain, la
traversée de la Camargue m’infligea un supplice atroce en
comparaison duquel une séance de brodequins aurait ressemblé
à une partie de plaisir. Quant à la troisième étape qui
pénétrait à l’intérieur des terres, le relief nous mit en
appétit et prépara gentiment l’escapade prévue dans le Parc
National du Haut Languedoc.
Avec, pour une fois, les bagages remisés aux vestiaires.
Ce quatrième jour du voyage itinérant était donc consacré à
la découverte du massif de l’Espinouse (la belle Oubliée) et
au Caroux (Cap Rousse), qui d’apparence monolithique depuis
la plaine littorale, s’érige en un véritable balcon dominant
la vaste plaine languedocienne.
L’Espinouse m’avait tapé dans l’œil depuis longtemps. Quel
réservoir de cols ! A maintes et maintes reprises, je
l’avais arpentée sur la Michelin sans parvenir toutefois à
en imaginer ses arcanes.
Enfin, en ce jour de la Toussaint, j’allais satisfaire mes
fantasmes. Ce matin-là, les ouailles du curé de
Lamalou-les-Bains se retournaient une dernière fois dans
leur plumard. Ils avaient raison car la petite ville
thermale reposait sous un épais brouillard. D’autant plus
que le Bon Dieu n’étant pas revanchard, il pardonnerait à
coup sûr cet écart.
Les vélos, qui avaient passé la nuit à la belle étoile dans
le jardin de l’hôtel, grincèrent des dents à notre contact.
Dominique enfourcha sa bécane et s’engouffra sans hésitation
dans une venelle pentue. La nuit porte conseil, dit-on !
D’accord mais de là, à ce que son GPS s’enclenchât de
manière spontanée, il y avait de la marge. Bigre ! Plus
temps réel que ça, tu déboussoles.
Comme d’habitude, je mis aussitôt mon braquet d’asthmatique
imposant un train de sénateur à mon partenaire. Ce
tricotage jouait en sa défaveur. Très vite, il dut se
rendre à l’évidence qu’il pouvait tracer une croix sur les
petits crochets qu’il comptait me gratifier en surprime de
l’itinéraire de base.
Il régnait une douceur estivale en ce 1er
novembre. Des coins de ciel bleu perçaient les bancs ouatés
au fur et à mesure qu’on hissait nos équipages. Mi-
sylvestre, mi-alpestre, la route serpentait dans une forêt
dense de châtaigniers, façonnée en terrasses par les
saisonniers de jadis. Les couleurs chatoyantes m’invitaient
à musarder. Quant à Dominique, il se recyclait en
reporter-photographe. En fait, c’est une autre façon de
prendre son pied quand il faut se distraire et attendre son
partenaire tous les cents mètres.
Au col des Princes, la forêt s’étant éclaircie, de vastes
échappées se découpaient sur un massif boisé formé d’une
multitude de monts dont les sommets lointains se perdaient
sous un linceul de brume. Mètre après mètre, on
apprivoisait la sérénité tapie de la montagne. Bref, tous
les critères indispensables se trouvaient réunis pour
réaliser le carton inoubliable : soleil, couleurs, calme
absolu, pureté de l’environnement, points de vue, et…effort
gratuit.
Les Pouvoirs Publics ont par ailleurs compris que cette
région dégage un attrait essentiellement touristique. Aussi
ont-ils crée un parc naturel dans lequel ils ont introduit
des espèces animales en voie de disparition. Des tableaux
synoptiques jalonnent la route touristique. Hélas ! De
mouflon, il n’y en eut point.
Ça et là, des chasseurs camouflés n’étaient certainement pas étrangers à
l’absence de gibier. Par contre, pas le moindre ramasseur
de cèpes alors que ceux-ci proliféraient sur les bas-côtés
de la route comme les boutons d’or.
A hauteur du col des Avels, la forêt fit place à des
prairies d’altitude, des bruyères, des fougères et des
genêts. La nature explosait dans sa parure d’automne. Un
rayon de soleil nous incitait au farniente. La matinée
avançait, le roman-photo aussi. Quant à la moyenne de
croisière, elle cassait la baraque ! Un fracassant 10
km/heure. De ma vie, je n’avais jamais crapahuté aussi
lentement. Une consolation toutefois ! Nous n’étions qu’à
une encablure du balcon de l’Ourtigas, lui-même véritable
marchepied du col de l’Espinouse. A l’horizon, une débauche
de landes moutonnait à l’infini scandé par les silhouettes
des sommets. Par une route où de la bosse s’éternisait, on
s’échoua dans le village de Murat-s/Vèbre. A l’heure de
vérité. C'est-à-dire à celle de l’apéro. Faire l’impasse
sur cette opportunité risquait de nous confronter à une
traversée du désert. Or, comme nous n’étions pas abonnés au
régime sec, rien ne s’opposait à ce que nous tapions la
cloche. On se paya donc le resto « Durand ». Hélas ! Ce
ne fut pas le meilleur choix. Pire ! Infecte et c’est un
euphémisme. Dominique renonça à ingurgiter les frites
carbonisées qui furent servies sans compliment. Quant à
moi, je briffais du bout des dents quand l’assiette garnie
bascula de la table et disparut au plus profond de mon
entrejambe. Mon compte était également réglé. Quoi qu’il
en fût, une remise de prix nous fut accordée par le
restaurateur sous forme d’un apéro gratos. Par inadvertance
ou par erreur. Mais certainement pas en compensation de son
infâme mixture. On s’éclipsa sur la pointe des pieds tout
heureux de trouver du réconfort auprès de Phébus qui riait
aux éclats.
Microcosme au cœur du Parc naturel régional du Haut
Languedoc, le massif est un carrefour climatique remarquable
où se côtoient les influences atlantiques, méditerranéennes
et montagnardes qui engendrent au gré des ubacs et des
adrets une multitude de microclimats.
Second objectif du circuit : le « Roc de Montalet » toisant
du haut de ses 1259 m ses voisins environnants. Le top du
top de notre escapade. Dur dur. Cet épouvantail, quoiqu’il
impose le respect et l’humilité, est moins raide que le
triple mur de Lustin. Dominique se fit une joie d’imprimer
pour la postérité le rictus d’un adepte du tout à gauche dès
qu’il s’agit d’un mont ou d’un col. Même si la butte ne
plafonne qu’à 25 m d’altitude. D’un autre côté, il faut
reconnaître que ma moulinette avait un aspect positif
puisqu’elle lui donnait l’occasion de griller sa sèche
régulièrement, à heure et à temps. Je comprends d’ailleurs
maintenant son dégoût pour le terrain plat ou vallonné.
Privé de son herbe à Nicot, il se sent tel que Samson avec
la boule à zéro.
Les genêts et les bruyères avaient pris le relais de la
forêt sur les hauteurs.
A la différence de Dominique dont le frein arrière faisait
relâche, je dévalai le « Roc » à tombeau ouvert en direction
du barrage du lac de Laouzas. Le handicap de l’avant-midi
était pour ainsi dire résorbé. Aussi puisque le temps ne
nous était plus compté, on s’octroya une pause-café à
Fraisse-s/Agout. Comme d’habitude, je fis le plein de
Pelforth. Dominique préféra tanker son traditionnel café
crème. Ma potion magique n’a jamais eu l’heur de le
convaincre. Pourtant sa vitesse de croisière de fin de
journée était la plupart du temps inversement
proportionnelle à la mienne de la première heure.
Attention ! Il est bon de se méfier parfois des ancêtres
qui affichent de temps en temps de beaux restes.
Dernier coup de reins dans le Caroux. Des flambées de roux
incendiaient les érables et les hêtres des forêts
domaniales. Braqué sur la Méditerranée, le Caroux qui fait
partie de l’Espinouse, fleure bon la Corse. Il constitue
l’arrière-pays montagneux de la Côte du Languedoc qu’il faut
aborder avec humilité. Cependant, au lieu de taquiner la
muse, je m’appliquai à bouffer du cintre obligeant Dominique
à s’accrocher dans l’ascension du col de Fonfroide. Une,
deux, dix fois, il faillit exploser pour garder le contact.
J’emmenais allègrement le braquet. Or, le brave qui s’était
sacrifié tout au long de la journée, ne me tint pas rigueur
et s’appliqua à me coller au train. Un point, c’est tout.
Et peut-être en gardait-il encore sous la pédale ! Que ne
fait-on pas pour flatter l’ego d’un pote !
Bien que Dame Nature nous ait gâté dès les premières bornes
en nous offrant des somptueux panoramas, nous n’étions
toujours pas saturés d’images sublimes en cette fin
d’après-midi. Vu du haut du col de Fonfroide, les lacets du
col du Poirier valent le coup d’œil. A découvrir
absolument !
Dominique dévala prudemment l’imposante muraille de gneiss
qui s’écrase dans la vallée de l’Orb. Il nous restait à
Olargues la curiosité du « Pont du Diable » qu’on se devait
de franchir pour conjurer le mauvais œil.
Photo. Ensuite les ultimes bornes furent parcourues à bride
abattue. Heureusement ! L’hôtel fut atteint à la chute du
jour.
Le 1er novembre restera pour l’éternité un jour
marqué d’une pierre blanche. Les jours suivants aussi.
Après cette magnifique journée ainsi que celle moins
glorieuse de l’orteil déchiré, nous n’étions pas arrivés au
bout de nos surprises. Quarante-huit heures plus tard, il
nous faudra essuyer les trombes d’eau qui s’abattront sur
les Cévennes et le Gard. Mais ça, c’est une autre
histoire !
Itinéraire
Lamalou-les-Bains (200m) – D 180 – col des Princes (588m) –
col de Madale (691m) – col des Avels (803m) – col de la
Plane (925m) – col de l’Ourtigas ( 988m) – Pas de la Lauze
(976m) – col de l’Espinouse (1100m) – D 622 – Murat-s-Vèbre
– col de la Jasse (901m) – Moulin-Mage (836m) – La Trivalle
– D 62 – Roc de Montalet (1259m) – Nages – Barrage de
Laouzas – col de Frajure (957m) – Fraisse-s-Agout – D 14 –
col de Fonfroide (972m) – col du Poirier (602m) – D 908 –
Olargues (183m) – Pont du Diable – Lamalou-les-Bains (200m)
Distance : 107 km - Dénivellation : 1990m
Repérage
Michelin
83 – pli 3 (Hérault & Tarn)
Bonne
Adresse
Hôtel du
Commerce
34240 – Lamalou-les-Bains
Tél. 00 33 4 67 95 63 14
Novembre 1994
bruffaertsjo@skynet.be
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