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LE TOUR DES 5 MONTS SAVOYARDS
La Randonnée des cinq monts savoyards ? "Sans nul doute,
l’une des plus fortes et des plus originales que les Alpes
puissent nous offrir". C’est en ces termes élogieux que les
coauteurs J. Durry et J. Seray font la présentation de cette
randonnée permanente dans un ouvrage que tout cyclotouriste
devrait avoir comme bible de chevet. Une randonnée
permanente qui fait moins de 300 kilomètres. Ha ! Ha !
s'esclafferont les grosses pointures. Ce n’est qu'une partie
de rigolade, rien de plus. Et même s’il y a près de 6000
mètres de dénivelée, en disposant des 3 jours de délai, il
n'y a pas de quoi faire un foin. C’est ce que je me suis
aussi dit ! En toute modestie ! Somme toute, ce n’est pas la
première fois que je randonne en haute montagne pendant
plusieurs jours d’affilée. Cependant ! Deux détails me
chagrinent. D’une part, le parcours ne se résume qu'à 5
ascensions et autant de descentes, ce qui remballe le temps
de souffler aux abonnés absents. D’autre part le manque de
cols qui émaille le circuit me laisse sur ma faim. Pour
compenser cette dernière contrariété, je décide de remodeler
la ronde en y apportant mon grain de sel. Ultime précision.
Dans ma conception du cyclotourisme, la randonnée à long ou
moyen cours se réalise toujours en voyage itinérant, sans
assistance et la plupart du temps en solo. C’est à ce prix
seulement que le randonneur est à même d’apprécier les
voluptés du cyclotourisme !
Avant de me lancer dans l’aventure, je modifie donc les
règles du jeu en multipliant tous les paramètres par 30 %.
Le délai des 3 jours passe à 4, la distance augmente de 100
km et la dénivelée grimpe de 5700m à 7400m, la différence
provenant de l’ascension de 5 cols supplémentaires. Le lieu
de départ est déplacé au col de la Lèbe (914m) situé dans le
Bugey et la boucle est entreprise dans le sens contraire des
aiguilles d’une montre. Versant ouest du Mont du Chat et
versant est du Grand Colombier ayant déjà connus mes
honneurs du pied par le passé. C’est amplement suffisant !
Voilà assez de données, me semble-t-il, à même de flatter
mon ego anticonformiste. Quant à la suite des opérations,
voyons un peu cela par le menu. Forza Belgica!
Col de la Lèbe. La mise en route a lieu à la pique du
jour. Comme d’habitude, tous mes effets sont rangés avec le
plus grand soin, chaque objet allant rejoindre un sac ou une
poche bien déterminée. Les objets de valeur sont fourrés
dans un petit sac à dos qui, lui, est serré dans le sac de
guidon. Les coqs sont encore auprès de leur hétaïre alors
que j’accuse déjà ma première grosse frayeur. Quinze cents
mètres après mon départ, un sentiment de malaise me prend
tout à trac. Le lecteur doit savoir que portefeuille, clefs
de voiture et paire de lunettes sont les trois bêtes noires
qui me font transir à longueur d’année. En permanence, je
suis à leur recherche.
Bon Dieu ! Mes clefs de voiture, qu'en ai-je fait ? Avec
fébrilité, je plonge ma dextre dans le sac de guidon dans
lequel elles devraient se nicher. Je fouille, farfouille,
fourrage dans le fouillis. Rageusement. Rien. Je remets le
couvert en examinant chaque centimètre carré. Rien. Je vide
le contenu du sac à dos sur l'asphalte. Toujours rien. Comme
je suis sûr qu'elles ne se trouvent pas dans les autres
sacs, je me fais une petite chaleur pour retourner à
l'auberge du col de la Lèbe. Je les aurai probablement
laissées sur l'appui de fenêtre. Dix minutes plus tard, là
non plus, pas de trace de clefs. La situation se corse.
Maintenant, ce sont des sueurs froides qui me dégoulinent le
long de l'échine. Il ne me reste plus qu'à repasser une
seconde fois le sac à dos au peigne fin. Ouf ! Je les
découvre enfin planquées dans un repli de la pochette du sac
à dos.
Cette fois, c'est parti mon kiki. Les premiers coups de
manivelle sont donnés entre les riants coteaux bleu vert de
la vallée du Rhône. Les vignobles de Gamay s’étendent à
perte de vue. Ici, pas de grandes villes, pas d’imposantes
cathédrales, pas de musées, pas de prestigieux châteaux.
Oh ! Restons un peu sur terre ! Si l’intéressé veut bien
prendre la peine de reluquer le profil de la randonnée, il
comprendra de suite que c'est avant tout un exercice musclé
qui l’attend, ce qui ne l'empêchera jamais de sombrer dans
une douce rêverie ou la contemplation.
Yenne. Altitude 231 m. Me voilà au pied du premier
épouvantail. Quelque treize cents mètres de dénivelée à
tricoter en vingt bornes. En prime un mur à 14 % à escalader
de temps en temps. Je m’attendais à du corsé, c’est
davantage. Quoique mon crapahutage ait souffert deux bonnes
heures sur ces flancs pentus, je suis contraint de faire
l’impasse sur tout commentaire puisque peu après le Pont
Mercier, là où le « Chat » relève du col, un brouillard à
couper au rasoir m’enveloppa jusqu’au sommet. Un avantage.
Personne ne vit ma bobine convulsée par l'effort. Un
souvenir. Un cyclo qui, tous les dix mètres, poussait des
gémissements à fendre le cœur d'une pierre, m’encouragea
quand il vit ma monture qu’il s'empressa de comparer à un
mulet. Or, comme j'avais de quoi grimper aux arbres, la
boutade glissa sur la peau de l’âne bâté.
Au sommet, je ne reconnais
pas les lieux. L’énorme antenne de télécommunication du
Mont du Chat (1504m) a disparu sous la
brouillasse. Le « chalet des Aigles » affiche un air
tristounet avec sa terrasse désertée et ses parasols en
berne. Il vient toutefois à point nommé pour le
casse-croûte. De la descente sur le Bourget, excepté une
ou deux timides échappées sur un lac souffreteux, une
fois de plus hélas, il y a peu de choses à raconter. De
la brume, encore de la brume et toujours de la brume.
Dans la vallée, le randonneur se heurte à une
circulation démentielle. Les autorités locales,
conscientes de la problématique, ont ceinturé en grande
partie le lac par une piste cyclable. Belle initiative !
J’applaudis à deux mains.
Aix-les-Bains. Altitude 260m. Ville d’eau.
Casino, hôtels, restaurants et curistes. Je ne m’attarde
pas. Pas d’entourloupe pour repérer la route du Revard.
Il n’y a qu’à ouvrir l’œil. Dès les premiers
hectomètres, la pente moyenne est annoncée. Elle sera de
6 % sur 21 kilomètres.
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Echappée sur le lac du Bourget |
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Je lève les yeux. Un
plafond opaque et sombre réduit ma vision à une misère.
Mes frusques sont humides, il est donc temps de les
sécher et je décide d'arrêter les frais pour la journée.
L’hôtel "Bellevue" de Trévignin, que je rencontre
justement, convient parfaitement pour aérer mes frusques
et pour mes ablutions. En espérant que le lendemain…
Trévignin. Les jours se suivent et se ressemblent
! Il pleuvine. La grisaille écrase le paysage. Rien à
zieuter.
Pour tuer le temps, je sombre dans un de mes passe-temps
favoris à savoir, … la cogitation.
Je monte sur mon nuage. Je plane. Me plonger, m’égarer,
m’abîmer dans les pensées équivaut pour moi à une douce
drogue. A chacun son joint ! Pourtant, je me rends
compte que ce n’est pas ici, en faisant du vélo en solo,
que je glanerai des anecdotes truculentes. Pour ça, il
faut s’immerger dans le sérail humain. Dans les lieux de
perdition. Dans les méandres de l’âme humaine.
Entre-temps le crachin, qui plafonne à 1200 mètres,
s’évanouit au profit de gros nuages blancs qui roulent
sur les rondeurs de la montagne. Tant et bien qu’à la
table d’orientation du Mont Revard (1537m), un
soleil frileux illumine les sommets de la montagne
environnante. Par contre, pas de point de vue sur la
vallée, ni sur le lac. Un épais matelas de nuages
tapisse la combe. Les remonte-pentes et une
infrastructure hôtelière abondante attestent que le
Revard est un lieu fréquenté par les touristes à
l’inverse de son vis-à-vis, le Mont du Chat. Quant au
panorama, il faudra que j’y retourne pour en faire une
description.
Longue descente au cœur
des Bauges. Sans danger. La deuxième du parcours via La
Féclaz et le col de Plaimpalais.
Resto de "La Grolle"
Pont de
Lescheraines. Altitude 600 m. Midi. Comme je suis
largement dans les temps, je ne résiste pas à l’appel du
resto fleuri de "La Grolle". Je ne suis pas le seul car
dix minutes plus tard, la salle est pleine comme un oeuf
! Une pizza et un coup de rouge, ça ne se refuse pas
surtout quand on se trouve au pied du troisième
obstacle. Pourtant, c’est par une pente pas bien
méchante où fleurit déjà un rare colchique sur les
bas-côtés que j’enroule jusqu’au col de Leschaux.
D’après mes sources, il doit rester environ 12 bornes à
une moyenne de 6%. Pas de quoi fouetter un chat ! Je
pédale les doigts dans le nez sur cette route en
corniche. En fin d’ascension, la route se cabre un peu
mais ça ne mérite pas d’en faire un plat. Comme le «
Semnoz de Couttet » est fermé, il m’oblige à pointer au
« Choucas » qui n’a pas de tampon. Aïe ! Aïe ! Aïe !
L’incommensurable catastrophe pour le randonneur atteint
de tamponnite aiguë qui, pour peu que son appareil photo
fasse relâche, se voit contraint de bisser l’ascension
pour prouver son passage. La tenancière de la peausserie
m’a compris cinq sur cinq. Magnanime, témoignant d'une
rare noblesse d'âme, elle souhaite profondément me
dispenser de cette immense frustration. Aussi me
refile-t-elle un ersatz ! Une magnifique carte de visite
qui représente le Col des Aravis sous son meilleur jour
! Un petit poulet illustré de toutes les couleurs !
Donc, notez dans vos tablettes, Messieurs Dames, que le
bel effort du Semnoz se voit récompensé par deux sommets
distants de plus de 50 bornes. C’est plus fort que du
Roquefort, et pour une fois, ça n’est pas du belge !
Mais je vous promets sincèrement qu’on va en prendre de
la moisissure !
Blague à part, le Semnoz (1699m) est un magnifique
sommet logé sur une magnifique montagne à vaches. En
haute saison hivernale, il y a gros à parier qu'on s'y
bouscule pour skier.
C’est une magnifique
ascension que le ou plutôt la "mec" devrait grimper au
moins une fois dans sa vie pour gagner son paradis. Il
en est bien qui se paume dans le désert pour ça ! Quant
aux tamponnés, qu’ils se rassurent ! Il y a un tampon de
réserve mais il faut aller le chercher de l’autre côté
de la crête à l'hôtel des "Rochers Blancs". Ensuite,
descente à fond la caisse sur 18 kilomètres. A travers
bois. Sous une pluie battante. Que voulez-vous que je
vous raconte dans de telles conditions ?
La route du Semnoz débouche aux portes d'Annecy où je
suis agressé par une folle circulation. Tous azimuts.
Direction de St Jorioz qui s'écarte du parcours original
de la randonnée. La fredaine en vaut la chandelle
puisque je suis l'hôte privilégié de Henri et Colette
Dusseau, qui sont deux des 7 piliers de la sagesse du
Club des Cent Cols.
Hospitalité, générosité, convivialité, bref le couple
cultive avec un certain bonheur toutes les vertus du
cyclotourisme. Le départ du lendemain est fixé à 7 h.30.
C'est une heure idéale puisque avec un brin de pugnacité
je me trouverai en mesure de brûler une étape.
Oui, oui ! Cause toujours…
St Jorioz. Comme de bien entendu, je me présente
au petit déjeuner à 7h. pile. Dehors, il ne flotte pas.
A peine !
Le lac d'Annecy sous le déluge
Ce
n'est pas un nuage qui a crevé, c'est tout le ciel qui
dégringole. Nous assistons au déluge du troisième
millénaire. Impuissants, gros Jean comme devant à
renverser la vapeur, de la retourner d'où elle vient !
Il n'y a plus qu'à …attendre que le grand éclusier
céleste s'endorme sur ses lauriers.
8 h. Il douche toujours. Henri est parti à sa réunion.
Colette fait sa toilette. Je parcours alternativement
l'itinéraire d'Alexandre Dumas père et… le mien. Le
mauvais temps me monte à la tête et en un tournemain, je
trace une tangente digne de "Bison Futé" qui me ramène
au col de la Lèbe par les vallées.
8 h.30. Les cordes tombent encore et toujours. Colette
me propose de me reconduire à mon point de départ. Je
refuse catégoriquement, ça n'est pas dans mes principes.
La seule fois que cela m'est arrivé, c'est pour mon
retour d'Italie dans une caque de plâtre, les pieds
devant. Entre-temps, j'en ai terminé avec la biographie
du père des Trois Mousquetaires. Comme St Pierre n'a pas
envie de m'écouter, j'empoigne le diable par les cornes
et je me prépare pour le retour par « Bison Futé ».
9 h. Je suis fin prêt pour le départ. Prêt à défier
toutes les trombes d'eau du ciel et les affres de
l’enfer. Le Gore Tex drapé d'un poncho doit me permettre
d'affronter les pires bourrasques. Je salue Colette et
je sors d'un pas volontaire.
Le comble des vexations me rattrape au coin de la
propriété. Plus une goutte de pluie. Je remballe le
poncho d'où il vient et je m'empresse de mettre les
voiles. Avant le retour des embruns.
Comme à Aix-les-Bains, les autorités municipales
d'Annecy, suite à l'action décidée de J. Perdoux, sont
occupées à ceinturer le lac d'une voie cyclable en site
propre. Belle initiative dont je ne me prive pas pour
rejoindre la capitale de la Haute-Savoie.
Annecy. Altitude
450 m. Un rayon de soleil incertain redonne un soupçon
de vie aux quais fleuris du paisible canal. Si Paris
vaut bien une messe, la capitale de la Haute-Savoie vaut
bien une demi-fesse. Normal, puisque ma gauche est
abîmée. Décemment, il eût été impardonnable de la part
d'un forçat de "Larousse" de passer au bleu la ville
natale de François de Sales et la patrie de J-J
Rousseau. C'est jour de marché. Pas facile de manœuvrer
la bécane entre les étals installés devant les arcades
et les chalands de plus en plus nombreux qui commencent
à se rendre mettre maître du pavé. Coup d'œil au château
et retour sur les bords du lac.
Direction Genève. Je fais une croix sur l'itinéraire de
"Bison Futé". Comme prévu initialement, la randonnée
comptera 4 jours, ni plus ni moins. S'extraire de la
ville est plus simple sur le terrain que sur la
Michelin. Le pont de Brogny qui enjambe le Fier donne le
signal pour un nouveau tremplin. A l'horizon, le ciel
n'est toujours pas avenant. Faisons avec puisque les
augures ne proposent rien de mieux. Forza Belgica!
Argonay. A hauteur de la mairie, un citoyen se
fait une joie de me tuyauter le chemin du col de
Fretallaz. Une description minutieuse que je prends au
pied de la lettre. Encore heureux qu'il existe encore
des gens qui connaissent leur région sur les bouts des
doigts ! Je suis ses instructions mot à mot. Pas
difficile, la route grimpe au ciel sous le couvert des
arbres. Bien au-dessus du col, à droite avait souligné
mon bon samaritain, puis après quelques centaines de
mètres, à gauche. Ok! Ensuite…ma trajectoire se termine
sur la nationale comme prévu. Sauf qu'il y a un nœud, au
bout de 2 kilomètres, je me retrouve aux portes
d'Annecy. Complètement déboussolé qu'il est le beau
matamore du vélo. Le pied de la lettre m’a planté au
pied du col. Rongeant mon frein, je fais demi-tour sur
la nationale, cravache jusqu'au Pont Mercier et là,
après le versant sud du col de Frétallaz, je me farcis
celui de l'est. Après ça, qu'on n'aille pas me bassiner
que j'escamote les difficultés. D'autant que près de 40
bornes s'affichent au compteur alors que je ne suis
toujours que dans la banlieue d'Annecy. Commence alors
un calvaire! La nationale 201 qui passe au Pont de la
Caille n'est pas une sinécure. Le pourcentage de la
route n'est rien par rapport à la circulation démente
qui y défile. Quant au pont lui-même, il mérite le
déplacement puisqu'on revisite le Moyen Age. Le pont
suspendu étant gardé de part et d'autre par de
gigantesques tours de châteaux forts.
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Mont Salève : la Croisette |
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Cruseilles.
Altitude 790 m. Midi. Plat du jour au "Vieux Fournil".
Lente digestion sur les pentes du Mont Salève
(1305m). C'est une montée agréable sans heurt et sans
à-coup à l'ombre des arbres qui vous ferait grimper
jusqu'au ciel s'il ne fallait pas pointer à "La Grotte
du Diable". Je suppose que ma sagacité m’a induit à
prendre la pente la plus humaine du massif. Je persiste
sur cette montagne à vaches jusqu'à la Croisette mais
comme la nationale 201 est une horreur, je décide de
court-circuiter mon itinéraire de base. Il n’y a plus
qu’à rebrousser chemin, rejoindre le col du Mont Sion
via St Blaise et traverser ensuite la nationale pour le
col de la Croix-Biche. L'heure n'est plus à la
contemplation, terminé le train-train, l'express prend
le relais. Le 13 dents rugit et en rougit de plaisir.
Même sur la D992. Les deux cents premiers mètres du
moins. Après…comme d'habitude, je remets le tout à
gauche. Le soleil culbute à l'horizon au moment où je
bascule sur Frangy. Survolté, le TGV pète les plombs et
frise la pelle mémorable au Malpas. Alors que je
descends la côte à fond de balle, mon Gore Tex se fait
la malle et l'extenseur soudainement flagada et mes
gants à trous se coincent entre la roue libre et le
dérailleur bloquant net tout le système. Encore heureux
que mes menottes se baladaient ailleurs ! Ce contretemps
refroidit mes ardeurs et m'invite à mettre un terme à
mes frasques cyclo-libidineuses.
Frangy. Le jour suivant. Je m’offre un vrai
départ. Sans lézard. Dès les premiers tours de roue, mes
oreilles sont agressées par un bourdonnement infernal
causé par le martèlement des poids lourds sur
l’asphalte. Toute la vallée de l'Usses n’est qu’un
vrombissement abasourdissant. Au bout de 3 km qui n'est
pas le pied, ça use votre écrivassier qui a oublié ses
boules « Quiès » pour assurer sa quiétude. La brume
aussi est omniprésente. Aussitôt sur la D992 qui n'est
pas de tout repos, je fonce sur Seyssel. Sur le grand
braquet. Nez dans le guidon. Ravitaillement dans le
bourg qui enjambe le Rhône. Mon sursis touche à sa fin.
Je me trouve bientôt au pied de l'un des plus sévères
juges de paix que compte l'univers de la petite reine.
Anglefort. Altitude 310 m. Le sommet du Grand
Colombier plafonne à 1505 m qu’il faut franchir en
l’espace de 15 km. Le tronçon de 10 km à 9% de moyenne
ne m échaude pas les fesses. Comme je compte déjeuner à
l’Auberge du Grand Colombier, il n’y a pas lieu de me
casser le tronc puisque le clocher du village n’a
toujours pas sonné les dix heures. Il ne me reste donc
plus qu’à monter à ma main, les yeux rivés sur le
compteur kilométrique. Un timide rayon de soleil perce
une frondaison de châtaigniers. Le pied pour taquiner
Erato. A corps perdu, j'arrête ce tissu somatique sinon
vous allez avoir des maux de tête.
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Mont Colombier : paysage agreste
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Bezonne. Un
lieu-dit, une baraque. Un cimetière de voitures camouflé
dans la verdure ! Un concert de jappements dont il y a
lieu de se méfier si d'aventure les fauves brisent leurs
chaînes. Ils vous réduiraient à une peau de chagrin. La
chance est de mon côté, moi je n’en subis que le boucan.
Les aboyeurs se fatiguent et deux lacets plus haut, la
caravane est passée. Le silence me réconforte. Cette
ascension affecte une allure digne d’une chattemite. En
effet, quand la pente finit enfin par se radoucir, un
panneau annonce l’auberge à 2km500. Enfin ! Mais…bon
dieu ! Quelles m’ont semblé longues ces bornes jusqu’à
l’auberge ! Il est vrai que dans les derniers
hectomètres, la route se cabre sèchement. Comme
l’auberge n’est pas située au point culminant, je ne
m'octroie qu’un avant-goût de tamponne d’autant que la
blonde n’est pas fraîche ni onctueuse. Quant au repas,
je tranche pour une voie lactée de 5 fromages secs. En
ce haut lieu du cyclotourisme, j’ai compris après coup
pourquoi ils n’utilisent pas le terme de « fromage à
pâte dure » ! Dès que mon choix est fait, la soubrette
remplace le couteau de table par une lame à dépecer. Un
braquemart effilé qui a réduit au silence plus d’un roi
de France ! Comme je m’applique à enlever la croûte de
la tomme, la lame se brise net à la jointure du manche
et gicle un bon mètre plus loin. Dur dur le fromage sec
! A moins que ce soit le couteau qui avait fait son
temps !
Le dernier kilomètre du Grand Colombier a beau être
pentu, il n’apporte pas de modification à l’étape. Je
rentre gagnant puisque la fin de la randonnée n’est plus
qu’une longue cure de santé. Des ailes me poussent tout
à coup. Je délaisse le chemin direct et m’en vais
épingler le col Richmond d’une pédale légère. Un
magnifique col de crête boisé en forme de fer à cheval.
Retour par Hotonnes, Bassieu et Chavillieu où un mur
anonyme me cloue sur place et contraint à me dégourdir
les extenseurs des orteils. La loi des vexations a une
fois de plus frappé. Tous les obstacles du circuit ont
été franchis dans les règles de l’art, sans le moindre
témoin et, ici, dans ce trou perdu, un villageois
assiste d’un air narquois à mon seul moment d’abandon.
Brenaz : village fleuri du Bugey
Cossonod. Le village se blottit sur le flanc de
la montagne en dessous du col de la Lèbe. L’aventure se
termine. Dans 5 bornes tout au plus, je serai rendu à
l’Auberge du Col de La Lèbe. Quand soudain… Je n’en
crois pas mes yeux ! Une prunelle s’expose comme une
cerise sur un gâteau. Des quintaux de prunes bleues
écrasent leur fût géniteur qu’un tuteur soutient tant
bien que mal. L’arbre est à la limite de la déchirure !
La tentation est trop forte…de soulager cet arbre
martyre. Je me faufile sous les barbelés et, d'une main
leste, je déleste le prunier d’une bonne dizaine de ses
drupes. Chut ! Ne le répétez pas. Il en reste
suffisamment pour que le propriétaire du verger se paye
une colite quotidienne pour le restant de ses jours.
Mon forfait accompli, c’est en me goinfrant de ces
délicieuses petites prunes que je mets un point final au
« Tour des 5 Monts de Savoie » que je recommande
vivement à mes pairs de la petite reine.
Septembre 2002
bruffaertsjo@skynet.be
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