Commentaires
Quand on évoque la Vallée de la Semois, ce sont toujours
les mêmes sites qui reviennent en mémoire à savoir la
ville de Bouillon, le Tombeau du Géant à Botassart et
le point de vue sur Frahan depuis Rochehaut. Cependant
la Semois, qui passe pour être une des plus belles et
une des plus capricieuses rivières de l’Ardenne, possède
un patrimoine qui va bien au-delà de ces quelques
sites. La région entière a su préserver son
authenticité. Ainsi, dans la basse vallée de la Semois,
il est un type de construction en bois qui ne manquera
pas d’attirer la curiosité du promeneur : le séchoir à
tabac. C’est un hangar à claire-voie dans lequel le
cultivateur suspendait les feuilles de tabac jusqu’au
printemps pour les sécher, avant d’être hachées.
La
culture du tabac est apparue en 1856 lorsque Joseph
Pierret, un ancien instituteur, planta le tout premier
are de plants de tabac de type Kentucky. Malgré un
démarrage laborieux, notre instit persévéra dans son
entreprise et, petit à petit, l’expérimentation devint
un franc succès. La fièvre du tabac gagna la vallée de
la Semois et les champs de colza et de chanvre furent
délaissés au profit de l’herbe à Nicot. Tant et bien
qu’en 1910, le petit village de Bohan devint le plus
grand producteur de tabac de la région. On y recense 65
hectares et 1.500.000 plants de tabac.
Le
succès du tabac est facile à comprendre. Le tabac est
une plante de terre pauvre. Il se prolifère sur un sol
acide, léger, suffisamment profond et exempt de
calcaire. La qualité du type même de sol que l’on
rencontre dans la vallée de la Semois. Climat,
exposition des cultures et humidité, tous les éléments
convergent pour obtenir un développement optimal du
tabac. Meilleur marché et de meilleure qualité qu’en
France, il n’était pas soumis aux lois d’une régie
nationale et sera l’objet d’une fraude régulière entre
la Belgique et la France. La Semois devint donc « LA »
terre à tabac.
Le
déclin de la production s’amorça dès la fin de la
deuxième guerre mondiale. En cause, la concurrence
étrangère, l’augmentation du prix de la main d’œuvre et
les maladies de la plante.
Actuellement, il reste encore trois planteurs fabricants
qui continuent à produire du « Semois » pour fumeurs de
pipe. Ils perpétuent une tradition tant appréciée par
les suceurs de bouffarde qui considèrent le tabac comme
une certaine philosophie et un art de vivre.
Quant à la plupart des séchoirs à tabac, ils sont
utilisés aujourd’hui comme réserves à bûches et font
désormais partie intégrante du paysage de la Semois.
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Une
seconde particularité surprendra le cycliste qui
collectionne les côtes, les cols et les monts. Alors
que la carte Michelin renseigne clairement le col du
Loup (383m), elle ne fait pas la moindre allusion au col
de la Bonne Idée (341m) qui est une copie conforme du
précédent. Situés sur la même ligne de crête, distants
de quelques kilomètres l’un de l’autre, à des altitudes
similaires et donnant accès aux mêmes vallées, quelles
raisons le cartographe peut-il avancer pour reconnaître
et matérialiser celui qui se trouve sur le territoire
français et ignorer son vis-à-vis en terre belge ? Nous
voilà bien en présence d’un cas typique de deux poids
deux mesures. Loin de moi de ranimer une ancienne
polémique mais il faut bien reconnaître qu’il y a là
comme un défaut.
Quoi
qu’il en soit, n’omettez pas de savourer une onctueuse
« Godefroy » à la Taverne de la Bonne Idée ! Cette
opportunité ne se représentera pas au col du Loup.
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La
dernière observation est d’ordre étymologique. Semois
ou Semoy ? Quid ? Pourquoi le nom de la rivière est-il
orthographié différemment suivant qu’elle coule en
Belgique ou en France ?
Sous
l’occupation romaine, la rivière qui prend sa source au
cœur de la ville d’Arlon, était appelée la « Sesmara ».
L’étymologie du nom vient du germanique « sach »
(pointe, couteau) et « mari » (eau) c'est-à-dire « eau
aux pierres comme des couteaux ». En un millénaire,
l’appellation de la rivière va successivement évolué de
« Sesmara » en « Sesomiris », « Sesmarus », Sesmoys » et
« Semoir ».
Et
comme Arlon se trouve à un carrefour linguistique, les
germanophones la rebaptisent à leur sauce soit en « Sesbach »
et les wallons en « Simwès ».
D’autres auteurs vont encore plus loin dans leurs
élucubrations toponymiques. D’après le moteur de
recherche « Crehangec », Semois serait issu de « Somoîra »
composé de som (tranquille) et aar (rivière). Quant au
« Quid », il soutient que la Semois ou Semoy provient
du nom de sa source : Som Oize, c'est-à-dire source de
l’Oize ce qui pour ma part me paraît peu probable
puisque l’Oise, qui prend sa source sur les hauteurs de
Chimay, appartient au bassin hydrologique de la Seine.
Bref, c’est le pot à encre ! D’après l’étude
toponymique, la France aurait opté pour la terminologie
de « Sesmoys », qui remonte à l’époque de Pierre
l’Ermite quand celui-ci prêchait la bonne parole dans la
vallée en vue de la Première Croisade, et la Belgique
pour « Semoir » qui est apparu un siècle plus tard.
Mais, rien n’est plus sûr. Il va de soi par conséquent
que toutes ces déductions sont à prendre au conditionnel
et avec une grande prudence.