Moins d’un an
après la virée dans le jardin de Shakespeare, je
remets le couvert à la recherche des émotions ressenties par
Goethe et Heine sur les pentes de la " Montagne
des Allemands ". Eux, ils s’étaient munis d’un bâton de
pèlerin et d’un crayon, moi je fais confiance à mon vieux
clou et à une clé à rayons.
Deux poètes
majeurs issus de Germanie avec lesquels il m’a fallu
composer dès mes plus jeunes années d’études. Trois ans
avant le fameux " Printemps de Prague ",
un voyage d’études ayant pour thème le "
Sturm und Drang "
m’avait fait traverser la Saxe d’ouest en est. De la
Wartburg d’Eisenach à Weimar, d’Erfurt jusqu’à Dresde, le
chef-lieu de la Saxe. À l’époque, les hommes du génie
déterraient encore allègrement les bombes dans le centre de
la ville. Des tristes vestiges de la Deuxième Guerre
mondiale. Toujours à la même date, la Stasi de la DDR (RDA)
avait installé un climat de terreur qui empêchait le peuple
de s’exprimer librement. Aussi, nos guides se bornaient-ils
à appliquer la formule des " Trois Singes "
c'est-à-dire se voiler les yeux, se boucher les oreilles et
se taire. C’était une atmosphère très pesante qui n’était
pas faite pour tranquilliser les deux jeunes Occidentaux que
nous étions, partis en Citroën 2 CV à la conquête de l’Est.
Le massif
montagneux du Harz avait été carrément escamoté de
l’itinéraire en raison de la viabilité précaire du réseau
routier secondaire. Pour être franc cependant, nos pôles
d’intérêt faisaient route aux antipodes de ma quête
actuelle. Aucune connotation sportive, ni contemplative.
Un dernier
détail ! Quelques mois plus tôt, j’avais fait la
connaissance de Nadia, ma Pasionaria.
Quelle époque merveilleuse ! En ce temps-là, j’étais
fasciné par les personnages de Werther et autre Abélard.
Aussi me suis-je empressé de mettre en application le bon
mot d’un grand amoureux qui affirme que celui qui n’a connu
que sa femme et qui l’a aimée en sait plus long sur la femme
que s’il en avait connu mille. Emballez, c’est pesé !
Qu’est-ce que vous attendez ?
Grâce à ce modèle de vertu (silence-et-merci-de-ne-pas-ricaner),
j’ai économisé mon énergie créatrice. Un peu plus tard, je
me suis adonné corps et âme à la Petite Reine. Et
depuis cet avènement, ce n’est pas tous les jours dimanche
ni l’Union Sacrée, mais la Triple Alliance a
évolué sans ambigüité en Triple Entente, voire en
Entente Cordiale. (Clin
d’œil pour les forts en Histoire) Les Dupondt
auraient ajouté : « … et on dirait même plus : en
Entente très Cordiale ».
Une année cruciale, un bon cru, Lustucru, pense Anny !
Al « Dante » ma non troppo, mammy !
Aussi, bien plus
tard, le brevet International du Grimpeur (BIG)
en incorporant les ascensions légendaires du Harz me donnait
l’occasion de combler un vide.
Avide
de quoi, chef ?
À l’assaut ! Vorwärts !
HERMANNSDENKMAL : un mur teuton
Le premier BIG de
la cuvée 2016, c’est le Hermannsdenkmal (BIG
152) perché à l’altitude 373 m : un immense monument
dédié à Hermann qui, à la tête des tribus teutonnes,
infligea une raclée mémorable au gouverneur Varus et ses
légions romaines.
Quant au prénom
Hermann (étym. Soldat), en voilà un qui me laisse que
des bons souvenirs. En effet, c’était celui de mon
grand-père, le second mari de ma mémé flahute, qui,
bien que nos patronymes ne fussent pas les mêmes, me
chérissait plus que sa descendance directe. Dès lors, ce
n’est que peu de chose d’adresser un coup de chapeau à sa
mémoire ! Une occasion unique et particulière qui ne se
représentera probablement jamais plus.
Mémorial " Hermannsdenkmal "
Conformément aux
instructions, le BIG 152 est facile à localiser.
Surtout si on fait appel à un GPS ! Quant à l’ascension,
c’est une simple formalité pour un baroudeur. Une amusette,
une bosse quoi !
Je remise la
LEÓN sur une voie de garage herbeuse. Mon premier
contact avec les lieux est une forte odeur d’ail (des
ours) qui me prend au nez et, paradoxalement, je ressens
les désagréables symptômes de l’angine de poitrine. Une
précision pour le profane ; c’est comme si tes soufflets se
déchiraient ! Dans mon cas toutefois, la douleur s’estompe
très souvent au fil des heures pour autant que je ne fasse
pas rougir le 52 dents. Pas de panique donc d’autant plus
que j’ai consulté plusieurs fois des spécialistes à ce
sujet. Chaque fois le carabin m’assurait que je pétais la
forme.
Est-ce dû à mon
hypertension chronique ? Au stress maladif qui me dévore ?
À mon penchant pour dive bouteille ? C’est n’importe quoi
sauf un caprice d’hypocondriaque et ça Arthur, je te le
garantis sur facture ! Mais encore…, ce genre de pépin ne
m’a toujours pas imposé l’irrémédiable mise à pied. La
seule astreinte que je m’inflige, c’est d’y aller mollo.
Chatouiller les pédales ! Les respecter ! Les câliner !
Bref, appuyer le pied léger !
À propos,
avez-vous déjà tenté de grimper un col en caressant les
pédales ? Le jeu en vaut la chandelle. Aucun danger de
péter la chaudière.
Hermannsdenkmal : panorama sur la forêt de Teutberg
Baste ! Il fait
beau, il fait chaud et me voilà en haut en moins de deux.
Entre ciel et terre, Arminius, le plus célèbre des aïeux de
pépé, m’accueille le glaive pointé vers Jupiter. Voilà un
signe de bon augure !
Nächste, bitte !
Heureux comme un
pinson, je rejoins ma future résidence pour trois nuits à
Elend via Torfhaus, l’un des accès légendaires
au Brocken. J’arrête ma tire au pied de la montagne
magique. Au même endroit où Goethe signa naguère un contrat
avec le diable. C’est aussi sur ces pentes que Heine
ressentit des émotions qu’il a sublimé ensuite au travers de
son art poétique. Et encore … je prends tous les paris que
Bismarck y a magouillé la " Dépêche d’Ems "
et sa politique d’expansion territoriale de la Prusse.
Quant à moi,
quelle sera la surprise ?
Le coup de pompe ou le coup de trompe ? Un Voyage au cœur
de l’Enfer ou un Embarquement pour Cythère ?
Comme l’horaire
est scrupuleusement respecté, je range la LEÓN sur un
méga parking aussi vaste que les installations de
Disneyland de Marne La Vallée.
Riesengroß !
Le parking est en partie désert dû à l’heure avancée
et à la couverture nuageuse menaçante. Ça me laisse
perplexe et c’est dans cet état d’esprit que je m’en vais
prendre la température devant les bâtiments du
Nationalpark-Besucherzentrum.
À l’étalage, le
centre propose un tas de produits locaux dont des flasques
de toutes les couleurs. Mon imagination va bon train. Ce
n’est pas un scoop quand j’affirme que le temps de mes
fredaines est vachement compté. Or, comme je n’ai toujours
pas le cœur à déposer les armes, il me faudra bientôt taper
dans la boîte à bonbons. Au diable l’avarice ! N’y
aurait-il pas dans ce tas de potions disparates, un élixir
anti-aging ou un philtre sous forme de patch
antidouleur ?
-Alles
klar, jeune homme ! Vous être sur autre planète ?
Es ist wahr, mon pays ist wunderschön ! Aber, warum bist du
so traurig ?
Qu’est-ce qui ne va pas ?
Le mot émane
d’une ravissante rouquine aux yeux verts qui passe près de
moi ! Je sors de ma langueur. Tilt ! Je tombe aussitôt
sous le charme de son regard magnétique. Elle est loquée
chic ! Très, très chic ! Perchée sur des cuissardes
pointues en suédine noire à talons et gainée d’une mini jupe
en vinyle rouge, elle exhibe des jambes interminables à
damner tous les saints encensés et non recensés. Une cape
noire en laine de mérinos, munie d’un fermoir en or en forme
de trident, donne à la silhouette une prestance de
cover-girl. Et puis, il y a encore ce petit bibi Fedora,
juché en haut de sa tête comme un abat-jour sur une lampe
mettant en valeur sa chevelure auburn qui tombe en cascade
sur ses épaules.
-Bitté, Mademoiselle ! Sehr angenehm, ich bin BIGmann Nr 3
!
(Notez qu’en présence d’une telle apparition, j’ai la
langue aussi pendue que celle de Rantanplan, le fidèle
compagnon de Lucky Luke.)
Je ne lui fais pas le baisemain car j’en profite pour
rectifier ma ligne de mire sur son superbe museau. Il est
adorable et parsemé de taches de rousseur. Ses lèvres
finement dessinées au crayon rouge flashy m’exhortent à
faire la causette. Un ultime détail me shoote dans l’œil,
c’est la minuscule paire de cornes de bouc en or qu’elle
porte aux oreilles.
Biscornu, non ? Big ou Bizarbazar !
Incontestablement, j’ai affaire à une séductrice. Que me
veut-elle ? Qui est-elle ? Une dominatrice, une
villégiaturiste ? Une cocotte, une coquette ? Va-t-elle me
faire une proposition indécente ? Des rencontres de ce
troisième type, je croyais que ça n’existait que dans les
feuilletons « soap » à Hollywood !
Quoi qu’il en soit, sa présence m’en jette ! Calmos !
Keine Panik !
- Je m’appelle Méphista
d’Éphèse, gardienne de ces
lieux. Il m’appartient de sauvegarder les traditions du
parc naturel. La fonction se transmet de génération en
génération dans notre famille. Hast du es kapiert ?
Yavoool ! Mamazelle.
Je saisis d’emblée la
" taurine "
par les cornes et la remercie pour son « jeune homme », très
flatteur d’ailleurs puisque bibi accuse au bas mot cinquante
balais de plus que la pin-up.
-À votre aise, mon bon monsieur ! J’ai au minimum trois ou
quatre fois votre âge.
Complètement givrée la nana ! Là, ça devient du délire.
Mais, de par expérience, j’ai appris qu’il ne faut jamais
contrarier les personnes qui élèvent des araignées dans leur
centrale à idées. Nous glissons sur le sujet – sans nous
faire du mal – et elle m’invite à donner la raison pour
laquelle je me paie un blues de méli mélo ancolies.
Quelques mots suffisent pour la mettre au parfum de mon
pénible numéro matinal pour accéder au sommet du
Hermannsdenkmal. Enfourcher la bicyclette à Charly
m’eût été en comparaison une mort plus douce. Je lui
traduis en clair qu’il m’eût été préférable de monter à
l’échafaud que de grimper au mémorial. Cela m’aurait évité
des Scherereien.
(Nuance pour les dyslexiques
teutons : je n’ai pas
dit Scheißereien ni Schweinereien)
Sonnenberg : la retenue d'eau de l'Oderteich à sec !
Bref ! J’ai eu droit à un coup de semonce qui ressemble
fichtrement à un coup de pied au derrière à l’instar des
Romains d’autrefois. Or, mon projet est de gravir bientôt
les pentes du Brocken (BIG 185).
Côté Urwaldstieg !
Alors avec la pêche que j’affiche, ça va être coton !
-Allons, allons, mon bon monsieur ! Tout ça ne mérite pas
d’en faire un fromage. Faites-moi un beau sourire et, comme
je dispose d’un pouvoir surnaturel, je me porte garant que
ce sera avec le diable au corps dorénavant que vous
accéderez aux sommets les plus hauts. En contrepartie, je
n’exige qu’une chose : « La discrétion la plus totale sur
tout ce que vous seriez amené à voir ou à vivre dans la
région ».
-N’est-ce pas un deal correct ?
-Tout à fait !
(À moins, me dis-je tout bas, que ce soit un cheick-cadeau
en bois !)
(Merci de me passer ce calembour
de potache)
Un bruit strident distrait notre entretien et je donne un
coup de périscope à un totem dont le top est coiffé d’une
libellule sculptée. Le temps d’un
Augen Blitz
!
Comme toute personne bien élevée, je reviens très vite à la
jeteuse de sorts pour …
Wo ist Sie ?
Où qu’elle est passée ? Évaporée la beauté,
verschwunden ! Pas le moindre indice.
Comme toujours, des idées, il m’en défile autant dans mon
chiffonnier qu’il défile des sans papiers aux portes de
l’Europe. Je me dis : « Mais pourquoi s’en faire puisque je
n’ai signé aucun contrat. Il ne peut rien m’arriver de
fâcheux. Quoique…ma foi oui ! Le diable vend bien du
fromage alors qu’il ne possède aucune chèvre !
Bigre ! Nein, Absurd,
me dirait l’ami Heiko ! »
Bof ! Faisons confiance à l’exquise créature aux soi-disant
pouvoirs magiques. Et puis, tout compte fait, je ne vois
vraiment pas ce que le parc naturel abrite d’exceptionnel
qui puisse faire les choux gras d’un visiteur. Maintenant,
si Méphista compte m’épater avec le spectre
du Brocken, elle se fiche royalement le doigt dans
l’œil. Le mystère est une affaire élucidée et classée qui
n’a aucun point commun avec la sorcellerie. Les
scientifiques expliquent le phénomène physique comme la
résultante d’un jeu d’ombre et de lumière, présentant des
analogies avec les arcs-en-ciel. En clair, ce n’est pas ce
numéro prétendu fantasmagorique qui va m’estomaquer !
Elend : la plus petite église en bois d'Allemagne
Ouf ! J’y suis !
Elend.
Un petit village blotti dans la vallée de la Bode que
les traduttore, traditore s’empresseront de traduire
par le mot
" Misère ".
Zéro sur dix, messieurs les polyglottes ! La coutume locale
se réfère à l’ancien saxon du Moyen-âge et nous enseigne
qu’il s’agit d’un étranger puisque
« Sobald der Mensch aus der
Heimat
herausfiel war er ein « Elender ».
"Eie ma vast ? " eût
conclu mémé. CQFD !
En vérité, cette petite communauté de l’ex-république
démocratique allemande ne respire pas l’opulence de ses
voisines et les anciennes casernes réaménagées ne sont pas
la vitrine idéale pour attirer le tourisme. Pas de
boulanger, ni boucher, ni superette, ni bistrot mais une
big-bang gare ! Cet aspect tristounet est cependant
gommé par le confort du loft
" Eli
Lenti ",
mon lieu de résidence. Accueil, équipement, luminosité,
propreté, situation, petit déj, prix, etc., je lui mets sans
hésitation dix sur dix sur toute la ligne.
Elend : une époque révolue
Comme je suis largement dans les temps, je me dépêche de
décharger mon saint-frusquin et je m’en vais rallier l’Oderhaus,
le point de départ du versant sud-est du Sonnenberg
.
SONNENBERG, un mont-soleil en berne
Ici, la circulation routière ne doit pas être triste en
haute saison. Toutes les ascensions reprises dans le BIG
s’échouent à proximité des parkings de Torfhaus. Les
versants ouest & est présentent de vastes réserves d’épicéas
brûlés qui créent un climat de désolation. Si on y ajoute
le barrage de l’Oderteich vidé de ses eaux, ça n’est
pas un endroit idyllique ! Et cerise sur le gâteau, les
motards défilent par dizaines à la fois en cette morte
saison. Quelle plaie !
En fin de compte, ce sont les versants sud & sud-est qui
sont les moins assommants. D’autant si on apporte une
petite diversion en cours d’ascension.
Tous les cyclos ont des marottes, des besoins, des
habitudes. Les uns, c’est la quête des gîtes douillets.
D’autres s’amusent à repérer les bonnes auberges. Il en est
qui préfèrent s’adonner aux faits néants. Quant à
moi, en bon poivrot, je chasse les boissons énergétiques
traditionnelles : mes deux dernières découvertes
significatives étant la Pietra corse et la britiche
Abbot.
Ayant appris incidemment que l’herbe de Sainte-Apolline
(Bilsenkraut)
poussait dans la région, j’avais un infime espoir de
savourer une bière préparée à base de cette plante
euphorisante. Bernique ! J’arrive comme un cavalier
d’Offenbach ! Voilà un demi-millénaire exactement que cet
usage est interdit par les autorités.
Mais comme toujours, le challenger tire la baraka au moment
où il s’y attend le moins. Et quand je dis cagnotte, c’est
un ridicule euphémisme. Mettez-vous un instant à la place
d’un athlète qui monte au tempo le Sonnenberg (BIG
184), transpire comme un bœuf, meurt de soif et, qui
tout à coup aperçoit un panonceau mentionnant l’existence
d’une source gratuite de bière ?
" Freibierquelle
Sankt Andreasberg "
Dites-moi franchement, que feriez-vous à sa place ?
La " Freibierquelle " de Sankt Andreasberg
Vous ne me croyez pas ? Et pourtant … et bien non, je ne
divague pas ! Dommage que Dominique, mon alter ego soit
absent. Il se serait fait une joie de décrire ma mimique
devant ce cadeau que le ciel ne réserve qu’au soiffard
d’exception ! Il est donc superflu de commenter ma
réaction.
Cinq minutes plus tard, j’accède à la fontaine miraculeuse
par un sentier envahi par la végétation. Celle-ci est
représentée par un tonneau scellé dans un édicule en pierre
avec en guise de bec verseur un large coude en fer
galvanisé. Hélas ! La désillusion succède bien vite à
l’enchantement. En lieu et place de la bière, on doit se
contenter d’un filet d’eau insipide. Autant vous dire que
j’en ai pris plein les gencives.
L’origine de cet attrape-nigaud, qui remonte à l’époque du
19me siècle, est en fait l’histoire d’une querelle de
clocher entre deux chorales locales réconciliées en ce lieu
autour d’un fût de bière.
En attendant, le coup de glotte est remis à la semaine des
quatre jeudis.
Je boucle la ronde à fond la caisse en évitant de toute
justesse une erreur d’aiguillage qui m’aurait expédié à « Méfie-Toi-De-Tes-Fesses-en-Oberharz »
(En voilà un qui devrait
avoir
sa place dans l’almanach Vermot)
et j’embraye aussitôt pour mes appartements situés au cœur
du
" Deutscher
Grand Canyon ".
Exactement au pied du Brocken, c'est-à-dire à
l’endroit rêvé des Biggeurs pour porter leur estocade
au BIG 185. Une place idéale, aussi, pour
recharger les accus. Près d’un clocher d’une discrétion
exemplaire !
Il se fait tard !
Morgen ist ein neuer Tag !
Sommet du Brocken : mégalithe
BROCKEN (Blocksberg), une star authentique
Le soleil montre le bout de son nez. Go !
J’enfourche ma vieille randonneuse, la même que celle qui
assura la réussite de la plupart de mes frasques
d’autrefois.
Forza Belgica !
Un brin d’orgueil ne fait jamais de tort.
Le Brocken, je le répète, c’est un gros
morceau ! Sûr, n’y a que le jeu de mot qui soit facile.
Tout cycliste, intéressé par son ascension, compulse au
préalable le site de mon ami Prési-Dan
c'est-à-dire
https://www.bigcycling.eu
Après la localisation exacte de l’obstacle, la consultation
des chronos est une des données les plus prisées par les
cyclogrimpeurs. Je ne vous divulguerai ma performance qu’en
temps voulu. Par caprice uniquement, pour tenir mon ami
Daniel en haleine. Toutefois, que le lecteur
sache qu’il y a belle lurette déjà, que j’ai fait mienne la
citation de Montaigne qui claironnait qu’il se sentait bien
tant qu’il avait une selle sous son cul.
Ben oui, quoi ! Pourquoi faire en une heure ce que l’on
peut en cinq ? Pourquoi se priver d’un petit bonheur qu’on
peut multiplier par cinq sans se casser le tronc ? Quelle
idée de se défoncer pour grimper un mont ? Un monde à
l’envers n’aurait-il pas des avantages ? Et puis s’accorder
une plage de réflexion de deux ou trois heures de pédalée,
ça garde les idées claires et souvent, c’est à ce moment
précis que les étincelles fructueuses (Fiat Lux)
surgissent des moindres détails.
Imaginez un instant ! Plus de diète, ni de régime !
Bonjour les bons petits plats mijotés, steak frites et Côte
Rôtie à volonté ! Plus d’exercices préparatoires
spécifiques ! Gardons en mémoire cependant que la randonnée
cyclo est un sport assis pour gens debout. Aussi,
l’humilité reste-t-elle de mise et par conséquent il faut
toujours en garder sous la pédale. C’est un tuyau crevé !
OK ! Mais ça vaut mieux qu’un boyau percé, non !
Le Big observateur que vous êtes, remarquera que mes
distances parcourues sur papier sont inversement
proportionnelles à celle du vélo. Par conséquent, si Dieu
me prête vie quelques années encore, je m’engage de battre
un jour le record ascensionnel du K2³ - Berg der Seele
– sur un vélo d’appart. Et de reproduire ensuite
l’événement dans les Aventures de Jo, sans Zézette ni
Coco ni Rico !
En principe, toutes les ascensions du chalenge BIG
ont une histoire particulière. Qu’il s’agisse d’un obstacle
sportif redoutable comme le Stelvio, d’un col mythique ayant
changé la face de l’Europe comme le Grand Saint Bernard ou
d’une taupinière militaire stratégique comme le Mont
Cassel, toutes les montées ont le droit de cité.
Dans le cas du Brocken, Daniel Gobert
rappelle dans sont récent ouvrage « L’Histoire du
Cyclogrimpisme » que les Allemands utilisèrent ce point
culminant pour y ériger la première antenne de télévision au
monde en l’an 1935. Hitler et ses sbires avaient bien
compris l’importance que revêtaient les autoroutes de
l’information.
Quant à moi, qu’en sera-t-il ? Et si le Brocken
se posait finalement comme ma montagne purgatoriale ? Et si
la distance à parcourir depuis la sortie de Schierke
correspondait à l’ascension pénible qui mène des entrailles
de l’Enfer à la gloire du Paradis ? Le prix du pardon de
mon péché d’orgueil sera dès lors de transporter une énorme
chimère sur le dos me contraignant à rouler comme un crabe
et, dans ce cas-là, j’aurai vécu pleinement mon
cyclotourisme comme dans ma bafouille à cinq sous :
http://www.cyclojose.be/Unesacreechimere.html
http://cyclingup.eu/francais/Germany/Brocken.php
Avant de
poursuivre cette chronique, un rapide tour de propriétaire
de l’ex-place forte de la RDA me semble utile pour se
forger une petite idée du site exceptionnel qui jouit
par-dessus le marché d’un microclimat subalpin.
L’accès principal
se fait du côté de la gare. Un point éventuel de
ravitaillement. Les flâneurs, eux, ont la possibilité de se
rabattre sur la cafétéria de la tour de télécommunication
qui plafonne à 1175 mètres et qui offre un panorama
inoubliable sur le massif du Harz. Par beau temps, of
course ! Quant aux fouineurs, ils se dirigeront vers
le « Brockenhaus » où tous les secrets de cette
montagne très particulière leur seront dévoilés. Ainsi, on
apprend que la DDR avait reconverti le sommet en place forte
stratégique pendant la Guerre Froide. Un chemin de ronde
entoure le vaste complexe qui inclut aussi un jardin
botanique et une arène de trente mètres de diamètre, appelée
la Brockenuhr (l’horloge du Brocken). Au
centre de celle-ci, un mégalithe contemporain matérialisant
l’altitude, est entouré d’une méga-table d’orientation
composée de 48 plaques de bronze posées à équidistance à
même le sol. Elle nous apprend entre autres que Bruxelles
est située à une distance de 450 km, le Kahler
Asten à 163 km et le Hoher Meißner
à 85 km. Comme cette immense horloge est privée
d’aiguilles, elle n’a aucun lien commun avec celle de
l’Apocalypse. Voilà le côté rassurant de la curiosité !
Cependant, bizarr,bizarr !,
j’apprends que les blocs de granit ont été extraits en
bordure de l’Hermannschaussée, située au nord du
sommet ! Haben Sie bizarr
gesagt ?
Pour ma part, il
ya a plus d’un demi-siècle que je vis en symbiose parfaite
avec mon précieux « Brockhaus ».
(curieuse association d’idées,
n’est-ce pas ?)
Un dico, acquis au début des années soixante, qui m’a été
d’une grande utilité pour comprendre la sensibilité de mes
cousines germaines. Et que je compulse encore et toujours !
(le dico, pas les frangines,
hé !)
Brokken
était aussi un mot courant dans le jargon de mémé flahute.
Comme mes parents avaient construit au sommet d’un petit mur
de Grammont, chaque fois qu’elle leur rendait visite, elle
marchait sur son souffle et clamait haut et fort : « Om
tot hier te komen, zie ik elke keer stukken en brokken
af ! (Chaque fois, cette
montée m’en fait voir de toutes les couleurs) »
NB. À mon sens, cette expression idiomatique flamande est
l’interprétation idoine pour qualifier le cadre de cette
montagne.
L'arène de la Brockenuhr
Quant à
l’ascension proprement dite, ce n’est pas un épouvantail à
vrai dire. Pour preuve c’est que je parviens à me hisser
sur la calotte sommitale dans les délais impartis par le
Prési-Dan. Exactement en 1H 52’ 10’’ 14’’’
03’’’’. Notez bien que ce sont les millièmes qui font la
différence ! Je laisse à mes pairs le bon soin de faire
paraître mon record dans le Guinness Book. Cette
belle performance n’empêcha cependant pas deux cyclistes de
me clouer sur place et un groupe de gyropodes de jouer à
l’élastique avec moi. La caractéristique que je retiens du
Brocken, c’est que tout au long de la montée,
on rencontre, on entrevoit et on entend en permanence des
gens de tout poil autour de soi. Des couples accompagnés
d’un chien. Des groupes sous la conduite d’un guide. Il y
a même des mamans qui se tapent la poussette au détour d’un
sentier. Un sifflement de train se fait entendre
régulièrement et, on y voit aussi un chariot avec un
attelage de deux chevaux qui véhicule poussivement des
randonneurs assis. Quelle foire ça doit être quand la
saison bat son plein ! Ce BIG ressemble à une
ruche en pleine activité. Le Ventoux et l’Alpe
d’Huez font figure de parents pauvres en comparaison de
ce sommet de moyenne montagne. Voilà la raison pour
laquelle ce massif montagneux est entouré de méga parkings.
Pour ma part, ce
sont les énormes blocs épars de granit qui ont retenu à tout
moment mon attention. D’où, l’appellation de notre
BIG. Une dernière donnée à signaler. L’église d’Elend
se dresse à l’altitude de 505 m au lieu de 302 comme
indiquée dans les infos de Bigcycling, ce qui diminue
la dénivelée totale de 200 m minimum minimorum. Magnifique
parce que l’inverse eût été contrariant.
" Viele Steine, müde Beine, Aussicht keine "
Heinrich Heine
Au sommet, le
vent fouette assez sèchement. Mon premier soin est de
repérer la stèle d’Heinrich Heine pour y saluer sa mémoire.
Le poète avait gravi le versant nord du Brocken
en remontant la vallée de la Ilse en partant du
village d’Ilsenburg. Cette randonnée l’avait
fortement impressionné et lui inspira un lied de
toute beauté (Auf dem
Brocken)
qu’il me plaît de reproduire fidèlement dans la langue de
Molière revu et corrigé par le pouët de dépannage "
cyclojose ".
Je recommande
vivement à tous mes coreligionnaires, qui désirent se
refaire une santé auprès de leur dame, de leur ressasser ce
big morcif teuton. Je l’ai essayé, ça a marché ! À
bon entendeur …
Purée de purée ! Que d’amertume,
Une montagne qui s’éveille
sous un océan de brume.
Si j’avais des bottes de sept lieues,
Je franchirais d’un pas les pics & les crêts
Qui me séparent du chevet
de la prunelle de mes yeux.
Là, où repose mon héroïne,
Sans un bruit, je fermerais la courtine.
Je lui baiserais le front en douceur
Et ses lèvres roses pour le meilleur.
Puis, en admiration devant sa féminité
Je lui soufflerais à l’oreille :
« Rêve à notre amour pour l’éternité».
Brockenuhr : une plaque de bronze
Une fois mes
hommages rendus au poète, mon pôle d’intérêt se déplace vers
le sud sur une piste circulaire qui polarise mes sens comme
" Sucre d’Orge" pour les sept à
soixante dix-sept ans. (Creusez
les gars, y’a une astuce burlesque là-derrière !)
D’où provient
cette attirance ? Du cercle sans doute puisque cette figure
géométrique n’a ni début ni fin. Peut-être est-ce même le
premier des « Neuf cercles de l’Enfer » où je suis
condamné à séjourner pour mon péché d’orgueil ! Mon déni
envers le poids des ans !
Pendant la
récupération de mon bel effort, je suis gratifié d’un
spectacle peu commun. Une procession interminable de
pénitents déambule en silence sur le toit de leur montagne.
Ceux-ci ne se cassent pas le tronc, ils marchent en file
indienne à pas comptés. Le ciel est d’un blanc laiteux.
Fermant les yeux un instant, j’aspire l’air vivifiant à
pleins poumons. Mon pouls s’accélère et voilà que mon corps
essuie une violente pulsation qui me déstabilise. Et
vlan ! Le trou noir ! Blackout !
L'interminable défilé des pèlerins du Brocken
Comme je rouvre
mes antibrouillards, la montagne a sombré dans l’obscurité
la plus totale. Voilà un bien curieux phénomène puisque la
prochaine éclipse n’est prévue que pour la fin du siècle.
Was zum Teufel ist los ? Was
ist das ?
Tout à coup !
Magie ! Magie !
La place
s’éclaire subitement a giorno et, contre toute attente, je
suis perché en haut des gradins d’un vélodrome en pleine
effervescence. Ça ressemble bigrement à un meeting
événementiel ! Des spectateurs rappliquent de tous les
côtés. L’espace neutre, séparé de la piste par une paroi en
verre, concentre tout le staff de maintenance et les
officiels courent dans tous les sens. Deux panneaux
gigantesques, fixés aux extrémités du vélodrome, informent
le peuple du passage des concurrents en temps réel. Pour
l’instant, ce sont des immenses haut-parleurs qui saoulent
le public sur des flonflons d’accordéon. La lumière
clignotante des néons m’agace. C’est la fête, quoi !
Bref répit !
Annonce d’une épreuve de scratch.
La course est
réservée aux féminines. Hélas ! Le brouhaha m’empêche de
saisir le nom des concurrentes qui sont au nombre de huit.
Elles s’alignent côte à côte occupant toute la largeur de la
ligne de départ. Une forte odeur d’embrocation se répand
dans l’enceinte et fait monter d’un cran la tension. Les
incubes et les succubes se déchaînent ; ils ne se maîtrisent
plus comme s’ils participaient à une bacchanale alors que le
vélodrome est irradié d’une lumière blanche aveuglante.
Au vu des maillots, il ne faut pas être un aficionado pour
constater qu’il s’agit d’une compétition de haut niveau.
Deux jerseys détonnent dans ce gratin et, comme vous me
connaissez, toute mon attention se scotche automatique sur
les deux intrus.
-« Non ! Ça n’est pas possible ! Je l’ai quittée, il y a deux
jours à peine »
Et pourtant, je
dois me rendre à l’évidence que c’est ma Pasionaria.
Je la reconnais à la position spécifique qu’elle campe sur
son vélo. Du coup, je me paie la " Fiat " de
" Lux ". (En voilà
une que je m’offre à chaque chronique ! La prochaine fois,
je me fais concessionnaire de voitures italiennes ou bien
j’ouvre une grande surface de luminaires !)
Les autres
concurrentes sont toutes des championnes d’exception.
Reste un dossard
qui interpelle ! le 8 ! Quelle est cette merveille de la technologie
humaine ? La diva chevauche
une monture de rêve. Un vélo futuriste réduit à sa plus
simple expression permettant la pénétration idéale dans
l’air. La plupart des accessoires sont intégrés dans le
cadre. La « track cyclist », qui est moulée dans une
combinaison lycra jaune piquée d’un trident noir de part et
d’autre des cuisses, ressemble comme deux gouttes d’eau à
une dea ex machina descendue sur piste.
M … Elle se
retourne au moment précis où je la prends en photo. Plus
moyen maintenant de mettre une étiquette sur cette
participante ! Qui se cache derrière ce numéro ?
Le populo scande
le nom des déesses prêtes à flinguer sans pitié !
Minute, Pa(r)p(a)illon !
(Coucou aux Cent Cols)
Accrochez-vous ! Je vous ai gardé le pompon pour le bouquet
final. Figurez-vous que c’est un immense feu de joie qui
flambe autour du mégalithe central. Un brasier digne de la
Reine de Saba !
Hé ! Ne partez
pas, y’a une floche en prime ! Un speaker annonce à
haute et intelligible voix que c’est une course par
élimination. La dernière arrivée sera immolée sur l’autel
du brasier ! Kif la Pucelle de Do-Ré-Mi sur Loire !
Ganz verrückt !
Maître Léonard,
portant un masque avec un long bec d’oiseau sous lequel on
distingue une moustache en forme de guidon de course,
officie en qualité de starter. Comme il donne le signal de
départ, les dames se mettent d’emblée en file indienne. Les
flonflons des Brockenmusikanten éclipsent le
chuintement des boyaux et mettent le cœur de la foule en
liesse. Les « track cyclists » se défoncent, cassent
la baraque. Elles giclent de partout. Les chasses se
succèdent sans cesse au son du même accordéon. Ça flingue,
ça monte aux balustrades, ça ferme les portes, ça déborde et
les filles remettent le couvert. Sans jamais mordre la
bande azur. Ça va très vite, une épreuve de scratch
aussi !
Héél mooi !
Éh moi ! Émoi ! Soudain, un des spots suspendus
m’aveugle. J’ai droit à une superbe balade sur une voie
lactée de trente-six chandelles. Merde ! Voilà que je
déjante à cent à l’heure. Je vois toutes les pistardes à
poil, maintenant ! Texto les gars ! Transcrit en jargon
académique, cela signifie qu’elles sont couchées sur leur
coursier dans une complète et mythologique nudité simulant
des postures voluptueuses. Encore bien qu’elles soient
nu-tête et n’aient pas troqué leur casque pour une couronne
à fleurs. Quant au numéro de dossard, il est imprimé sur le
culbuteur !
Bref ! Mon
compte est bon pour rendre visite aux pensionnaires d’un « Nid
de coucou ». Il est temps que je me fasse soigner. Que
de nostalgie, hélas ! Je ne serai jamais le fou, imaginé »
par Heinrich Heine, qui, conscient de ses limites, répand
les idées nouvelles du sage.
Bof ! Au diable
mes états d’âme ! Avant de clowner le Jacques (le
fataliste), permettez que je m’accorde un sursis de
trois jours avant d’analyser la magnitude de ma démence sur
l’échelle de Richter à Gleidorf, ma prochaine
résidence située au pied du Kahler Asten.
Comme je me
prends la tête dans les mains, qu’est-ce qui retentit ? La
cloche, pardi ! C’est parti pour la finale. Ma
Pasionaria emmène le sprint de loin. Mais le
déboulé du dossard n° 8 est foudroyant et, restant bien
entre la ligne bleue et la rouge, l’étoile filante plonge à
la corde et jette sa roue sur la ligne. Elle remporte le
sprint avec une longueur d’avance sur Victoria.
Maja est bonne troisième. Le public est aux
anges. Il apprécie ce genre de folklore et le fait
savoir ! Aussi, les clameurs de la foule bourdonnent-elles
à tout berzingue ! La gagnante et ses dauphines se dirigent
vers le podium où le maître de céans les attend.
Comme tout effort
se doit d’être arrosé, je salue les athlètes en buvant un
coup de rouge « Les Trois Croix » et, à cet
instant précis, le feu de joie rappelle ma Pasionaria
à mon bon souvenir.
-Où
est passée Nadia, ma dulcinée ? Qu’en ont-ils fait ?
L’ont-ils cramée ? Bande de fumiers, va ! La voilà bien
avancée à s’t heure, elle qui persistait à croire comme
Jeanne d’Arc que l’essentiel, c’est d’être cru ! Aïe, aïe,
aïe ! Seigneur, ayez pitié de ma mécréante !
À ma supplique
éperdue, une gerbe de rayons éblouissants me terrasse et je
chavire dans un état de semi-inconscience.
Quand je rouvre
les lotos, les badauds de la Brockenuhr ont disparu
de la nature. Le cinéma du vélodrome aussi. Reste nib !
Le sommet, enfoui sous une brume cotonneuse, repose sous un
silence total. Un calme troublant, déconcertant,
inquiétant !
M … M … M … !
C’est quoi, cette histoire à dormir debout ?
Ma journée part
en couilles. Je patouille dans l’abracadabrant. Cette
fois, ça y est, ma crémaillère est fissurée, ça ne fait plus
l’ombre d’un doute !
Il ne me reste
plus qu’à calter et, en vitesse svp !
Avec le monde qui
encombre le Goetheweg, retour par la voie directe.
Sinon je risque encore de faire un malheur avec tous ces
piétons qui monopolisent toute la largeur du chemin. On se
croirait un jour de solde dans le Sentier à Paris
prolongé par la Carnaby street de Soho.
Adieu la lande de
Goethe, exit les linaigrettes,
tschüs le saut de l’Ecker !
Midi sonne. Je
réintègre mes appartements. Popote et sieste.
Je cligne des
yeux ! Un rayon de soleil pénètre dans le loft et,
aussitôt, je me décide d’épingler le BIG
suivant qui n’est distant que de quelque 20 km. Autant
enrouler les pignons tant qu’ils sont rouges, n’est-ce
pas !
J’abandonne la
LEÓN entre Altenbrak et Treseburg dans la
vallée de la Bode. Comme l’après-midi est déjà fort
avancée, je me décide à tracer l’itinéraire au plus court.
Mon choix se porte donc sur le versant sud qui ne devrait
absolument pas poser problème.
ROßTRAPPE, un site légendaire
Une big
ascension, qui s’achève à l’endroit où commence une légende
super médiatisée, appelle un petit mot d’explication. Le
Roßtrappe (BIG 186) en est un cas
représentatif.
La légende en
deux mots pour les cœurs romanesques.
« L’histoire se passe à l’époque des Géants. Une jolie
princesse se fait courser par un roi dont elle n’a rien à
cirer. Elle lui échappe grâce au saut prodigieux que fait
son cheval pour franchir le défilé de la Bode alors que le
Barbe Bleu s’écrase dans l’abîme. »
Roßtrappe
: belvédère
sur la Bode
De nos jours, le
Roßtrappe (le Pas du Cheval) ainsi que
la rive opposée de « L’Hexentanzplatz » (la place
du Sabbat) font le bonheur des promeneurs.
Le site de la
légende me laisse dubitatif. J’accorde dès lors carte
blanche à mon imagination qui m’en demande toujours
davantage lorsqu’il s’agit de vagabonder tous azimuts.
J’aime les voyages mentaux. Ben, oui ! J’adore m’abîmer
dans des pensées qui pédalent dans la choucroute telle une
girouette affolée par un vent fantasque.
(Cette métaphore-ci
m’est venue au petit endroit
où le roi va-t-à pied)
N’entendre que les bruissements de la nature : la plainte du
vent dans les arbres, un filet d’eau qui pissote, une
pétarade de coups de tonnerre. Ici, ce sont les
escarpements rocheux vertigineux qui me donnent le tournis
et qui m’attirent comme la Loreley d’Heinrich. Le
site dégage une atmosphère particulière et fait l’objet
d’une exploitation intensive de la part des autorités du
parc. À l’exemple de Gérard de Nerval, je voyage pour
vérifier mes rêves. J’en suis là dans mes rêvasseries
lorsque soudain, à l’extrémité du sentier dans lequel je
bats la breloque (l’auteur
rejette toute équivoque), une cyclote solitaire
verrouille son " Fitness Orbéa " blanc
derrière le panneau explicatif à l’entrée de l’accès menant
au point de vue sur la Bode. Une bécane identique à
la mienne ! Bizarre, non ! Puis, elle enlève son casque
jaune et l’accroche sous la selle. Au fur et à mesure
qu’elle s’approche de moi, mes yeux découvrent une créature
exquise. Un jolis minois, des cheveux flamboyants savamment
décoiffés qui rappellent les serpents de la Méduse, des
dents parfaites et un port de déesse, voilà un quarté auquel
aucun homme ne résiste. Une fois de plus, il s’agit d’une
courtisane qui a un sexe à pile fou contre lequel
Duracell ne tient pas la distance.
Roßtrappe
: entrée du
sentier panoramique
Et pourtant ! Ce
n’est pas la silhouette qui retient mon attention. Pas du
tout, ni même son cuissard immaculé blanc. Par contre, son
sweater rouge parsemé de tridents noirs fait bigrement
penser au motif imprimé de la combinaison lycra de la
huitième diva du Brocken.
Au moment où nous nous croisons, je ne résiste pas à la
saluer. Elle me rend poliment mon bonjour. Après l’échange
des clichés habituels, j’évoque sa tenue singulière en lui
précisant brièvement ma récente aventure du Brocken.
Le moment inénarrable du vélodrome et la gagnante rayonnante
qui avait troqué sa combinaison jaune citron aux tridents
noirs pour une tenue des plus naturelles et écologiques.
Cette allusion à la séance de l’Hexenaltar ne plaît
pas à Medusa. C’est le prénom de mon
interlocutrice. Elle révèle avec une pointe de contrariété que
ça ne peut être que Minerva, sa sœur jumelle
qui adore s’éclater en ce lieu en y faisant des facéties.
Aussitôt, son regard se durcit et elle m’apostrophe tout à
trac : « Au fait, n’est-ce pas
vous le jeune homme de Torfhaus auquel ma sœur
Méphista a promis
une cure de jouvence, hier ? »
Je la dévisage et m’attarde sur ses oreilles,
légèrement pointues, qui sont mises en valeur par de fines
boucles en forme de corne de bouc. Et vlan ! J’en ai le
bouc cisaillé !
Roßtrappe
: empreinte du
sabot de l'étalon de Brunehilde
Comme j’en reste
comme deux ronds de flan, c’est le moment précis choisi par
un conducteur de bus touristique de larguer sur le
promontoire son précieux chargement de clic-clac, merci Mr.
Kodak ! Une basse-cour en furie envahit la place à une
allure folle, vociférant, braillant, s’esclaffant,
plaisantant, se bidonnant, s’amusant, riant, chuchotant,
gueulant ; la vague humaine se transforme très vite en une
meute indisciplinée. Le tohu-bohu infernal me perturbe à
tel point que je perds de vue ma belle cycliste. Une fois
de plus ! Verschwunden,
nochmals !
OK ! Pas de
commentaire ! J’ai probablement loupé une bonne occasion de
fermer mon klaxon mais trois supers nanas qui se
volatilisent dans la nature sans crier gare en moins de 24
heures, ça ne tient pas la route.
Bon ! J’en ai
soupé du Roßtrappe. Ma mémé flahute
avait raison quand elle me serinait à l’époque qu’il fallait
bannir toutes les « Rosse » de mes relations. Pour
votre gouverne, les « Rosse » dans son jargon,
ça supposait tous les rouquins et les rousses déclinées à
tous les tons. Pourquoi cet ostracisme ? J’en
sais fichtre rien. Mais, ce que je sais, c'est que
mémé épousait inconsciemment les idées de Céline qui disait
: "Les rousses ont le destin des animaux, c'est brute, c'est
tragique, c'est dans le poil". Quant a moi, ça
m’aurait épargné une fameuse désillusion parce que je suis
certain que la frangine ne va pas se gêner pour cafter
auprès de la sœur aînée, Méphista.
Bref, j’ai tiré
un sacré jackpot Ni a plus ka s'écraser !
(coup de chapeau à la nouvelle
ortograf ! Exit les fautes de saint taxe, de concordance
d’étangs et, par conséquent plus de problèmes de robinets :
la belle à faire pour l’écrivain sans public, l’écolier et …
le plombier !)
M … ! M … ! Et
re-m … ! Il me reste plus qu’à décamper de ce piège à
rosses. Franchement, j’en ai ras le bonbon de ces supers
nanas qui apparaissent et qui disparaissent comme un pet sur
une toile cirée. " Wie
vom Teufel verfolgt " eût corrigé mon
collègue Heiko dans sa langue maternelle
utilisant ainsi une expression bien plus appropriée à la
présente situation.
Pourtant, au lieu
de faire demi-tour, j’opte pour un crochet jusqu’à la ville
de Thale qui accueillit H. Heine autrefois.
Le petit centre industriel ne me convainc pas du tout. Il
subsiste trop de traces de tristesse, pareilles à celles que
j’avais ressenties en Allemagne de l’Est dans les années 60.
Du coup, au lieu de faire la boucle par le « Hexentanzplatz»,
je me décide à refaire le Roßtrappe par le
versant nord-est très corsé qui affiche des passages à 14%.
L’ascension se fait en forêt. C’est raide mais comme la
circulation est nulle (ouf !), ça passe sans dégât.
De retour dans mon loft, je m’offre deux délicieuses blondes
de Wernigerode commercialisées sous le nom de " Hasseröder "
mais dont le big boss est InBev. Hé oui, même
dans ce trou perdu, les feux de Stella viennent au
secours de ma détresse ! Ils effacent le camouflet de la
" Freibierquelle ".
Schluß bis Morgen
Schierke :
le pays des sorcières
Qu’est-ce que je
fais aujourd’hui ? Le diable bat sa femme et marie sa fille
en même temps. Quoi ? Vous ignorez ce dicton découvert
derrière un tas de fagots ? Il est de circonstance, non ?
Avouez ! C’est quand même mieux que la ritournelle du Jean
qui rit et Jean qui pleure, non ? Bref ! Vu l’incertitude
des conditions météos, j’opte pour une boucle matinale qui
me confirmera une fois de plus l’insécurité du cycliste sur
des axes secondaires en Allemagne quand il n’y a pas de
piste cyclable.
L’après-midi, je
remonte à Schierke par la piste forestière qui longe
la Bode. Cet accès élimine entre autres le raidillon
de la nationale qui commence juste derrière la gare d’Elend.
Cette piste en bon état, facile et tranquille, est à
recommander pour une bonne mise en jambes progressive. Elle
suit la rive gauche du torrent, évite la rue principale du
village et fait découvrir encore un immense parking couvert,
le " Winterbergtor " qui pourrait
abriter tous les habitants de la commune et alentours en cas
de guerre nucléaire. Et, ils ne se marcheraient pas sur les
pieds !
Schierke :
pharmacie " Feuerstein "
Dans la rue
principale, impossible de louper une demeure cossue. Il
s’agit de la pharmacie qui produit la " Feuerstein ",
une liqueur à base de plantes. Ici, pas question de
misère ! Ça pue l’oseille dix lieues à la ronde.
Quant au reste de la boucle, elle me promène par monts et
par vaux, par bois et par champs, dans un cadre de verdure
que les romantiques qualifieraient de plaisir champêtre.
Hop-là ! Une
divine " Hasseröder " décolletée avant
le couvre-feu ! La recette infaillible pour passer une nuit
de tout repos !
Auf Wiedersehen Harz
HOHER MEIßNER, un coup à l’eau
Destination :
Sauerland. Halte dans le Land de la Hesse.
Lors de
l’élaboration des itinéraires, je m’étais aperçu que,
moyennant un petit crochet, le Hoher Meißner (BIG
153) était à ma portée sans une perte de temps ni
d’argent. En plus, comme je ne me souviens de rien de " Am
Gerich " qui l’avait précédé sur la liste,
c’était l’occasion d’aller jeter un coup d’œil à cette
nouveauté. Maintenant, pour le même prix, j’aurais pu
grimper les pentes du mont Gobert (569m), situé au
nord d’Eschwege à moins de 10 kilomètres à vol
d’oiseau de Meißner. La " Petite Suisse de
la Hesse " m’aurait changé les idées et
en extrapolant un fifrelin, le mont donne accès au Graal du
cyclogrimpisme, une manière comme une autre pour
parvenir au septième ciel.
En consultant le
site du BIG, une contradiction m’était apparue
dans la localisation du sommet. Si d’une part, l’altitude
indiquée correspondait approximativement à l’emplacement des
mâts de communication et du resto, la localisation graphique
renvoyait le promeneur de l’autre côté de la nationale au
lieu-dit du Kasseler Kuppe culminant à 748 m. Qu’en
était-il au juste ?
Hoher Meißner
: Parking "Rebbes"
Hélas, hélas, hélas !!!
Décidément je suis incorrigible. Comme j’ai une main gauche
et une dextre maladroite, je suis parvenu à torpiller le
WIFI de mon PC. Aussi, exit en dernière minute la
consultation des nombreux plans du parc naturel afin d’en
optimaliser l’orientation.
Résultat : j’ai
perdu la boussole et je me suis retrouvé dans le cul de sac
d’une carrière de basalte à une altitude supérieure aux
fatidiques 718 mètres mais inférieure à celle du Kasseler
Kuppe. Comme le BIG ne comptait que pour
du beurre dans mes résultats, je n’ai pas insisté dans mes
recherches. Haro sur le cycliste, mais de grâce, ne lui
tirez pas dessus.
En venant de
Velmeden, c’est une ascension qui se fait en deux
temps : deux murs à 12% séparés par un court faux plat.
Trois mâts de communication matérialisent le sommet de la
big éminence. Les hauteurs du parc naturel, au vu des
aires de parking, attirent une foule de randonneurs tout au
long de l’année. La circulation routière risque donc d’être
parfois encombrante.
Étant donné que
le mont est un large plateau à faible dénivellation, cela
vaut la peine de se prémunir d’un plan afin de découvrir une
ou plusieurs promenades fléchées. La plus longue développe
une distance de 13 km. Vaut la partie de manivelles !
Bref ! Ne faites
pas comme moi ! D’autant plus que mon Gasthofbesitzer
Richter de Gleidorf me fit poireauter trois
longues heures avant d’ouvrir les portes de son
établissement. Un intervalle que je mis à profit pour faire
une reconnaissance approfondie des environs de
Schmallenberg.
Une dernière
observation à propos du Hoher Meißner. Comme
j’avais pris le temps de faire quelques pas sur la lande, je
me suis retrouvé tout à coup devant un somptueux champ de
linaigrettes en fleur. Un spectacle comme il n’en existera
jamais aux floralies gantoises, ni à Floralia
Brussels ou près de la station de métro " Merckx "
à Anderlecht. Comme quoi, il y a toujours un coin qui me
rappelle ♪♪♪ … chantait autrefois Eddy Mitchell.
Hoher Meißner
: un plant de linaigrettes
Tschüssi
Hessische Schweiz
KAHLER ASTEN, le père des mille monts
Enfin ! M’y voilà dans le Sauerland, au pays des
mille montagnes ! Une destination qui m’a tenu plus d’un
quart de siècle en haleine. Une région qui suscita ma
curiosité, m’intrigua, voire m’obséda. Et ce, bien des
années avant qu’elle ne soit reprise sur les listes du
BIG.
Pourquoi n’y suis-je pas allé ? La réponse est simple. Il
n’y a pas un seul col dans le Sauerland recensé par
le Club des Cent Cols. Une réflexion qui me fait
dire que les challenges sont source d’inspiration mais
qu’ils sont aussi à l’origine de désintérêt et d’oubli de
régions pittoresques, voire fascinantes.
Les villages du Sauerland sont souvent typiques et
mettent en valeur les vielles façades à colombages des
maisons et des fermes. La devise, qui est inscrite sur la
poutre noire au-dessus de la porte d’entrée va certainement
en inspirer plus d’un. À toi d’interpréter la sentence
comme un Champollion en herbe. Par contre, si les
châteaux et les abbayes sont absents du paysage, les
brasseries sont légion. Krombacher Pils, Warsteiner
Premium et Veltins Pilsener se disputent l’hégémonie du
marché de la bière. À moi, l’effort de humer, de taster, de
goûter ! Prosit !
Quant à l’ascension "versant ouest" du deuxième point
culminant du Sauerland, elle se fait via quatre axes
dont le point de départ est la vallée de la Lenne.
Le BIG propose le chemin qui remonte en partie
le cours de la rivière et qui bifurque ensuite vers le
village de Nordenau. Une autre possibilité est de
prendre la route parallèle qui passe par Westfeld.
Ça, c’est bonnet blanc et blanc bonnet. La montée par la
nationale vers Winterberg est à proscrire. J’y ai recensé
le samedi le passage d’une auto toutes les trois secondes.
Ce trafic, on le retrouve aussi sur les itinéraires
précédents allant de Schmallenberg à
Oberkircherhammer soit sur plus de 8 kilomètres
c'est-à-dire sur un peu moins de la moitié du trajet.
Vallée de la
Sorpe : Waldemai
Par contre, si vous suivez « Bison Futé »
c'est-à-dire emprunter à Schmallenberg l’ancienne
voie de chemin de fer jusqu’à Gleidorf, traverser la
nationale, la délaisser ensuite pour une petite route de
campagne (rive droite du cours d’eau) allant à Winkhausen
et, puis remonter la vallée de la Sorpe, vous irez de
surprise en surprise. C’est une large combe qui s’élève
sans à-coup et, qui est considérée par les régionaux comme
une des plus belles du Hochsauerland. Un kilomètre
en amont du village de Nieder-Sorpe, un domaine de
conte de fées épouse les méandres du ruisseau. Il s’agit de
la Galerie in der Waldemai qui expose des somptueuses
œuvres d’art dont une série de sculptures sur le thème de
l’eau. Un peu plus haut, c’est au tour d’un ferronnier qui
tient boutique. À Ober-Sorpe, c’est le cadran de
l’horloge de l’église qui rappelle à ses paroissiens le nom
des autochtones tombés au front pendant la Grande Guerre.
Ober-Sorpe
Großes Bildchen
Finalement, la pente ne s’accentue qu’après le hameau de
Rehsiepen jusqu’au col et carrefour Großes Bildchen
(700 m) qui délimite la séparation des eaux du bassin de la
Lenne et ceux de la Ruhr.
De cet endroit, il reste 140 mètres de dénivellation à
franchir en quelque six kilomètres. Ensuite, une finale un
peu plus corsée vous attend mais elle n’a pas la qualité
d’un juge de paix.
Le Kahler Asten (BIG 178) est une vaste
calotte herbeuse. Une fois de plus, les nombreux
emplacements de parking témoignent de la grande affluence
qui doit y régner par beau temps, été comme hiver.
Incontestablement, c’est un endroit à recommander pour les
vététistes.
Kahler Asten
Je fais l’impasse sur la station de Winterberg que
j’avais déjà snobé la veille. Demi-tour vers
Schmallenberg. Ma quête des BIGs étant
terminée, j’en ai quine de dérouler du ruban et je m’accorde
une après-midi de flânerie sur la voie verte de
Schmallenberg à Eslohe. Avisant une terrasse de
gargote, l’occasion est rêvée d’y déguster une pils Veltin !
Guère convaincant, ni convaincu. À la Krombacher désormais de
prendre le relais. Ça au moins, c’est une bonne bière !
À propos, avez-vous remarqué que, depuis ma rencontre
fortuite avec Méphista, je n’ai plus jamais
évoqué un ennui technique ni un souci de santé ?
Alors… qui donc est cette bougresse ?
Souper pizza arrosé d’un excellent rouge turc & préparatifs
pour le grand retour sur Bruxelles.
Eslohe : maison à colombages
Il est tôt. Le clocher sonne l’angélus. À la sortie de
Schmallenberg, une nymphette fait du stop à l’arrêt du
bus. Drôle d’idée à cette heure pour une jeune fille ! Je
m’arrête.
Elle brandit un carton noirci de quatre lettres :
K.Ö.L.N. C’est mon chemin. Le temps que je fasse
signe que c’est ok, son sac à dos et sa doudoune ont grossi
le fouillis de la LEÓN reconvertie en break pour la
circonstance. C’est alors seulement que je découvre un
tendron à peine sorti de l’âge ingrat. Le teint frais à
souhait, les cheveux bruns foncés relevés par trois mèches
rouges sur le côté et des yeux verts de biche, ô ma biche,
qu’elle a souligné au crayon noir, lui donnent un air de
rosière. Tiens, tiens, pour une fois, l’air ferait-il la
chanson ? Pour le portrait complet, ajoutez un jeans
délavé, des pataugas troués et un top informe derrière
lequel pointent deux minuscules tétons agressifs. Le
summum, c’est qu’elle répond à l’adorable prénom de
Faustine. Son sourire illumine l’auto. Il n’y a
plus qu’à espérer un bel été.
Après une courte prise de contact, je lui demande ce qui
l’amène à circuler seule dans cette région. Faustine
me répond du tac au tac qu’elle a été convoquée ex abrupto à
un banquet de magiciennes en tant que treizième et dernière
convive. La réunion, qui est toujours en cours, se tient
dans un trou infernal du Sauerland dit « Mes-Fils-Qui-Se-Lèvent-Tôt ».
Comme l’ambiance lui paraissait tellement tarte, elle s’est
débinée avant la fin de la réunion.
« Ah ! Non ! J’ai déjà donné ! » me dis-je en perso.
Est-ce que la midinette ne serait pas en train de me refaire
le coup tordu de Torfhaus ? Je la scrute du coin de
l’œil et c’est avec satisfaction que j’observe qu’elle ne
porte pas de cornes de bouc aux oreilles, ni de trace de
trident sur ses frusques.
Tout à coup, sans raison apparente, Faustine
se lâche et me débite son expédition.
« Les macrales de nos jours deviennent de plus en plus
siphonnées et paranos. Au moment où je leur ai claqué la
porte au nez, elles se penchaient sur le dernier flop
qu’elles venaient d’essuyer. Or, l’arnaque semblait
parfaitement mise au point. La grande prêtresse avait
harponné un cyclo à Torfhaus au pied du Brocken dans le
massif du Harz. La proposition était alléchante et sans la
moindre faille ! Le quidam retrouvait les forces de ses
vingt ans pour autant qu’il gardât le silence sur les
éventuelles péripéties qui se produiraient sur les
hauteurs. Mais surtout, elle s’était gardée de révéler
l’astuce qui s’y cachait derrière ! Il suffisait qu’il
fermât seulement son clapet pendant les 24 heures
suivantes. Le délai écoulé, son sort eût été scellé pour
l’éternité. À l’heure de son dernier souffle, son âme eût
été grossir automatiquement la bande de Belzébuth, un des 7
esprits démoniaques de la magie noire. »
La belle affaire, non ?
Teuflisch, nicht wahr ?
(À qui le dites-vous ?)
Malheureusement, la belle tromperie avait capoté. La
victime avait eu la langue trop pendue. Voilà la raison
pour laquelle les magiciennes tenaient un conseil au sommet
avant que
Méphista
ne
se fasse remonter les bretelles de satin par ses Hautes
Instances.
Chaud devant ! Je me dis en moi-même : « Il ne faudra pas
longtemps à Medusa pour détecter le maillon
faible ».
Partiellement rassuré, je n’en reste pas moins sur la
défensive et je garde le silence jusqu’au moment du droppage
de Miss Bel Été à proximité de Cologne.
Je vous dois une confidence. Dans tous mes commentaires
précédents, j’ai toujours rendu grâce au Bon Dieu des cyclos.
Une fois de plus, ce sera le cas !
En effet ! En buvant mon coup de rouge à la santé des « track
cyclists » au Brockenuhr, j’avais inconsciemment
arboré le symbole utilisé par les autochtones pour écarter
les sortilèges des esprits malfaisants. Souvenez-vous de
mon gorgeon de rouge ! C’était un Grand Cru Classé Château
Les Trois Croix. Comme quoi, je ne le
répèterai pas assez que Bacchus n’abandonne jamais ses
fidèles !
Du coup, j’’ai perdu la notion du temps. Quel jour
sommes-nous ? Samedi ? Dimanche ? Peu importe ! En
principe, l’un ou l’autre est un jour bloqué par ma
Pasionaria pour exercer son art « Hair Ω Design »,
une discipline dans laquelle elle excelle.
Quoi, vous me soupçonnez de flagornerie ? À votre aise ?
Que m’objecteriez-vous si je vous disais que ma muse se
taille personnellement une coupe de cheveux à la Jane
Fonda parce qu’elle le vaut bien ? Sans le coup de
patte de quiconque, sans bavure, dans les règles de l’art.
Des doigts de fée, je vous dis !
Aussi, l’ironie de l’histoire voudrait-elle que la retrouve
médusée teinte en acajou ? Alors là, les gars, vous n’êtes
pas sortis de l’auberge ! Je serais obligé de vous en chier
une pendule ! Car une partenaire qui se métamorphose au
bout d’une vie, c’est plus dans les cordes d’un jeune
septuagénaire ! Ce n’est plus un âge pour monter à
l’abordage !
Montmartre : ma muse sur la tombe de H. Heine
Comme mon récit est cousu de fil blanc, le lecteur qui a un
rien de jugeote aura certainement compris que ma bafouille
est un salmigondis de faits réels et de fiction. Normal !
La région du Harz est un haut-lieu de la sorcellerie. Tout
compte fait cependant, à défaut de « beautés », le
diable m’a procuré une superbe page de vélo. Un happy
few de Petite Reine. Sans elle, je n’aurais
jamais connu le sabbat du Brocken.
Capitaine,
n’est-ce pas l’heure ad hoc pour prendre un repos
sabbatique ?
Mais ça, c’est une requête identique à si on me demandait le
diable et son train.
Qu’en pense mon maître à panser (mes bleus) ?
À propos ! Je vous engage de faire un petit tour du côté de
la belle Assietta (Piémont-Italie), vous y
rencontrerez peut-être un vieux bouc solitaire qui pédale
encore et toujours dans le pop-corn depuis plus de vingt
ans ? Si vous le croisez, remettez-lui mes compliments !
Méphista
Medusa
Minerva
LORELEY
des CIMES
(H. Heine revisité par Cyclojose)
Allez savoir d’où me vient
Cette chiée d’idées noires ;
Une histoire, un conte ancien
Hante sans cesse ma mémoire.
Il fait frais, l’aurore se lève petit à petit
Et la route monte au ciel, sans une once de vent ;
Enfin! Le col se devine au loin englouti
Sous de vagues reflets de soleil levant.
Là-haut, une jeune et étrange sorcière
Se repose et expose sa beauté assassine.
Drapée de son sempiternel cache-poussière,
Elle lustre son casque d’or qui fascine,
Troquant son balai pour un peigne d’or.
Pour l’instant, elle fredonne une chanson
Mélodieuse certes, mais rythmée sur des accords
Mielleux, présage d’un sinistre frisson.
Le cycliste sur son beau vélo,
Envoûté par le doux délire,
Subitement se sent ramollo
A tel point qu’il se trouble et en chavire !
Punaise ! C’est n’in vrai !
Notre Pégase décolle et chute dans l’abîme !
Hé ben!
Le voilà bien avancé le pauvret !
Et ça, c’est à la Loreley qu’il doit cette fin sublime.
Considérations diverses
Pour ceusses qui trouvent ma conclusion trop nunuche je leur
propose une alternative plus coquine, voire carrément
karma-sou’l’tram dans laquelle je développe la méthode
asiatique. La figure acrobatique n’est pas à la portée de
quiconque parce qu’elle exige de l’équilibre et beaucoup de
souplesse. Néanmoins, elle tient parfaitement la route.
Excepté pour mémé qui s’eût écriée « Apocalypse
Nooooooooooooo » !
*
Vous êtes probablement nombreux à constater que la fiche
technique (distances, dénivelés, etc.) a disparu de mes
commentaires. À mon âge, comme la ligne d’arrivée se pointe
toujours beaucoup trop tôt, j’ai jeté mon bonnet à
performances par-dessus les moulins. Quant aux collets
montés qui veulent me battre froid, qu’ils aillent se
mesurer aux mollets primés de Minerva.
(Hé oh! Je n’ai pas dit privés)
*
Que dire d’une Big réflexion en guise d’épilogue ?
Au moment de mettre sous pli ce chef d’œuvre destiné au
Prix littéraire des Allumés de la Petite Reine, le
flop magistral du Hoher Meißner me revient soudain en
mémoire.
Comment ai-je pu, moi, soi-disant randonneur chevronné, le
mec qui a jadis conjugué l’enfer au paradis, passer sous
silence une évidence manifeste ?
Comment ai-je omis d’envisager l’ascension de la butte par
le versant Est c'est-à-dire au départ du village de
Meißner ?
Ben oui, quoi ! Du coup, mon raisonnement ne tient plus la
route puisque les points de repère ne sont plus les mêmes
pour le grimpeur qui se conforme scrupuleusement aux tracés
infographiques, et là il risque de perdre le nord une bonne
fois pour toutes. Et ce, en dépit de la bonne volonté du
pouvoir organisateur qui réajuste en permanence son tir afin
de dynamiser, voire trouver des variantes pour amuser le
peuple des Biggeurs.
Ce même comité ne ferait-il pas mieux d’imposer l’ascension
de tous les versants d’un BIG ? Cette
décision aurait pour effet d’allonger le temps d’accès au
Graal et éliminerait les aléas d’ambiguïtés inhérents aux
tracés infographiques ?
Alors quid ?
Que pense the BIG boss de mes big
niaiseries ?
Printemps 2016
***
À l’heure actuelle, la citation de Goethe est criante de
vérité à tel point que si l’intelligentsia britannique en
avait tenu compte, il n’y aurait pas eu les tribulations du
Brexit.
J’engage vivement le lecteur à lire ou à relire mes salades
qui suivent l’affiche de Shakespeare (The Reasons Why)
illustrant la rubrique « Bicycle Emotions », une récente
escapade en Angleterre.
Faut-il que l’amour-propre aveugle les esprits ! (La
Fontaine)
bruffaertsjo@skynet.be
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